Après La Main de Leïla, Aïda Asgharzadeh continue son exploration d'une jeunesse iranienne éprise de liberté avec Les Poupées Persanes, à découvrir pour encore quelques jours au Théâtre des Béliers Avignon. Un conte social, intime et terriblement humain qui nous fait voyager entre l'Iran d'hier et la France d'aujourd'hui, interroge les liens parents-enfants et le besoin de transmission. Rencontre avec une artiste libre et engagée, dont son amour de l'Iran lui trace la route.
« Vivre les émotions ensemble, en même temps... »
Qu'est-ce qui vous a fait aimer, choisir le théâtre ?
Petite je regardais plein de vieux films avec mon père. Ce sont les rôles comme celui d’Elizabeth Taylor dans Qui a peur de Virginia Woolf qui m’ont donné envie de jouer (c’est drôle que l’origine en soit une pièce d’ailleurs). Je n’avais presque jamais été au théâtre. Puis, j’ai assisté à une représentation de Forêts de Mouawad et là je me suis dit « je veux faire exactement ça ».
En quoi le théâtre est-il essentiel aujourd’hui ?
On s’en rend d’autant plus compte aujourd’hui, après la pandémie et l’arrêt total des exploitations théâtrales, de cette nécessité du spectacle vivant. Du besoin de donner et de recevoir dans les deux sens, entre spectateurs et acteurs, de vivre les émotions ensemble, en même temps. C’est juste humain.
Une rencontre artistique décisive ?
Je vais citer de nouveau Mouawad et Forêts. Puis toute la trilogie Incendies et Littoral. Et tous les créateurs de la même veine comme Lepage, Mnouchkine… Mais cette représentation à Creil m’a vraiment marquée. À l’entracte la salle applaudissait et applaudissait… et moi, je ne voulais pas que ça s’arrête, je voulais que ça reprenne immédiatement et que ça dure des heures.
J’ai eu ce même élan avec le Henri VI de Thomas Jolly, sauf que ça durait vraiment des heures, et c’était magique.
« Je travaille le lien parents-enfants, le poids de l’héritage et la question de la nécessité de la transmission... »
Qu’est-ce qui a déclenché ce projet Les Poupées Persanes mis en scène par Régis Vallée et actuellement au Théâtre des Béliers à Avignon ?
Je voulais raconter cette histoire depuis très longtemps. Il y a quelques années, j’en imaginais un film. Mais Kheiron a créé Nous trois ou rien, et les premières parties sont trop similaires dans leurs faits, alors j’ai remis mon histoire de côté. Puis, après La Main de Leïla, mon producteur, Benjamin Bellecour me dit « Si tu as envie d’une nouvelle histoire, je te suis. Mais lâche-toi, vois plus grand. ». Un assentiment à prendre des risques, dans une période où l’économie théâtrale est fragile. Je me suis dit qu’il était temps de créer les Poupées.
Vous racontez l’histoire de votre famille, celle de vos racines, peut-on parler d’épopée intime ?
C’est étrange car oui, elle est extrêmement intime – je dirais même que c’est en hommage à mes parents – tout en concernant toute cette génération d’hommes et femmes iraniens qui ont participé à la destitution du Shah et qui se sont retrouvés piégés par la mise en place du régime islamique. Beaucoup ont fui à travers les montagnes du Kurdistan comme je le raconte dans la pièce. D’ailleurs, un spectateur, il y a quelques jours, a cru que j’avais plagié Désorientales de Negar Djavadi (il s’avère d’ailleurs que nos deux familles sont très proches). Il avait du mal à croire qu’une histoire si épique, si romanesque, puisse concerner des milliers de personnes…
De l’Iran des années 70 à la France des années 2000, les révolutions sont-elles pour vous signe de progrès ? Et participent-elles à l’émancipation de la jeunesse ?
J’ai l’impression que les révolutions sont nécessaires – en tout cas on n’a pas trouvé un autre système pour renverser l’ordre en place – mais qu’elles n’aboutissent jamais sur ce dont on rêvait. Il y a, après chaque révolution, un retour à un cycle de violence ou de répression (que ce soit la révolution française ou le printemps arabe). Malheureusement le cycle de répression en Iran sévit depuis beaucoup trop longtemps et tue la jeunesse. C’est d’ailleurs un débat fréquent chez mes parents, teinté de culpabilité « est-ce qu’on n’aurait dû ne pas faire cette révolution ? et épargner les générations futures de cet héritage tyrannique ? ».
Je raconte ce qui m’intéresse, en partant du principe que si ça me touche, ça doit bien toucher quelqu’un d’autre.
Votre pièce relate des faits historiques et allie la petite histoire à la grande histoire. Est-ce essentiel pour vous de raconter une histoire comme un conte social ?
Je fais du théâtre, je raconte des histoires. Même si j’ai envie et besoin que ces histoires reflètent ce qui m’émeut, me questionne, m’habite, il faut que ça reste une histoire, avec ses protagonistes, ses nœuds dramatiques, ses rires, ses larmes et ses résolutions. Ce qui m’intéresse, c'est ce que ces personnages, auxquels nous allons nous identifier, vont traverser. Qui ils sont au début du spectacle et qui ils sont à la fin. Et plus ce qui les entoure est « grand » plus leur propre transformation le sera. C’est pourquoi je trouve ça plus captivant de les placer dans un contexte historique fort.
La Grande Musique de Stéphane Guérin aborde le thème de la psycho-généalogie, vous abordez également ces thèmes de la transmission et du poids de la culpabilité, avez-vous l’impression qu’il essentiel aujourd’hui de se confronter aux "fantômes" du passé pour avancer ?
Il y a quelques années je vous aurais dit que non. Mais force est de constater que je travaille le lien parents-enfants, le poids de l’héritage et la question de la nécessité de la transmission dans tous mes spectacles. Je n’ai quasiment pas connu mes grands-parents, très peu le reste de ma famille (elle a explosé dans tous les continents après la révolution iranienne) et je suis fascinée par les familles très soudées que je rencontre ici, entre les « poulets du dimanche » et les cousinades. Je ne pensais pas que ça existait vraiment. Ça m’attire, je le jalouse presque et en même temps « ça ne me concerne pas ».
Dans une société extrêmement formatée comme la nôtre, est-ce difficile en tant qu’auteure de créer en toute liberté, et de pouvoir aborder des sujets qui sortent des sentiers battus ?
En lisant votre question je me rends compte que j’ai la chance de ne pas me la poser. Je ne réfléchis pas en termes de sujets à aborder. Je suis extrêmement bien entourée par des producteurs à l’écoute, accompagnant, et je crois que jamais ils ne m’ont dit « non Aïda, ça c’est trop touchy ». Je raconte ce qui m’intéresse, en partant du principe que si ça me touche, ça doit bien toucher quelqu’un d’autre. Puis ma principale préoccupation devient de bien raconter : d’être dans le bon rythme, d’avoir des personnages humains, de réussir à faire ressortir l’essence de cette histoire. Est-ce que mes sujets sortent ou non des sentiers battus, c’est autre chose…
Dans quelle(s) direction(s) vous a dirigé(s) Régis Vallée ? Et est-ce plus complexe en tant qu’auteure de se laisser guider par un metteur en scène ?
Nous avions déjà collaboré ensemble avec Régis sur La Main de Leïla, que j’ai co-écrit avec Kamel Isker et que Régis a mis en scène. Je savais, en lui proposant Les Poupées Persanes, que notre duo fonctionnait et que sa sensibilité était exactement ce que je recherchais pour ce spectacle. Je lui fais entièrement confiance. Ce qui est très agréable c’est qu’il travaille tout en douceur, la cohésion de groupe est extrêmement importante pour lui, il crée une petite famille. Et c’est nécessaire pour ce spectacle choral. En tant qu’auteure, je préfère – si je joue dans la pièce – laisser la mise en scène à quelqu’un d’autre. Je trouve ça très périlleux, du moins difficile, d’être en regard extérieur et ressenti intérieur en même temps. Surtout avec une partition comme celle que j’ai sur Les Poupées Persanes.
Vous travaillez avec la même famille d’acteurs, de producteurs et la même équipe technique, est-ce que la notion de troupe est pour vous fondamentale ?
Ce n’était pas une volonté à l’origine, dans le sens où il n’y a pas de promesse. Nous ne sommes pas un collectif, ni même une troupe (dans le sens d’association créée expressément pour jouer) et je ne me sens aucunement obligée de travailler à chaque nouveau projet avec les mêmes personnes. En revanche, quand tout se passe bien, voire mieux que bien, pourquoi changer ? Beaucoup étaient des amis avant, d’autres sont devenus des amis depuis et j’aime profondément cette étape de recherche et de création entre personnes qui s’aiment, se respectent et s’épaulent. Et quand ces liens existent à tous les niveaux de la création, (avec les producteurs, les comédiens, les créateurs techniques…) je voudrais que ça ne s’arrête jamais…
« Faites le vaccin, s’il vous plaît... »
Une confidence ?
Petite, j’en avais marre que personne ne connaisse l’Iran. Qu’on me demande si je suis algérienne ou irakienne… J’en ai eu marre et j’ai commencé à dire à l’école que j’étais espagnole. Quand j’ai connu l’histoire de mes parents j’ai eu extrêmement honte de ne pas assumer mes origines.
Un acte de résistance ?
Je dirais qu'à chaque fois que je vais en Iran, je fais plein de petits actes qui sembleraient ridicules ici… Comme toucher l’épaule d’un ami, porter plein de couleurs, mettre du r&b en voiture, négliger le voile au maximum, voire l’enlever dans des coins moins passants… Un jour je me souviens m’être baignée dans un lac avec ma mère. On avait retiré nos voiles et manteaux. J’étais ado. J’avais hyper peur. Et en même temps c’était totalement grisant.
Un signe particulier ?
Je suis une très très grosse mangeuse. Et j’adore faire la cuisine. Pendant le confinement, j’ai pété les plombs. Je suis montée jusqu’à faire 120 meringues par jour. Il était temps que les théâtres rouvrent.
Un message personnel ?
Je vais plutôt utiliser mon téléphone : emoji sourire
Un talent à suivre ?
Raphaële Volkoff, une amie très chère, et bourrée de talents. Il se peut d’ailleurs que je mette en scène sa première pièce.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Qu’on me le dise en face surtout, et j’en ferai mon affaire.
Un message pour le public ?
Faites le vaccin, s’il vous plaît, ne nous laissez pas tomber…