Actuellement à l'affiche de la pièce Nos années parallèles de Stéphane Corbin et mis en scène par Virginie Lemoine, le comédien Alexandre Faitrouni prend le temps de répondre à nos questions sur cette histoire d'amour universel qui explore la relation, la mémoire d'une mère et de son fils, à découvrir jusqu'au 31 juillet au Théâtre EpiScène dans le cadre du Festival OFF d'Avignon 2021.
« Le plateau est un lieu libre où l’on se met à nu... »
Qu'est-ce qui vous a fait aimer, choisir le théâtre ?
Je crois que j’aime raconter des histoires, transmettre des émotions. Me laisser porter par un récit, un jeu, un décor, une troupe. La possibilité d’avoir accès à une autre identité tout en ne se laissant pas dépasser, en y mettant un peu de notre personnalité. J’aime le côté inattendu du spectacle vivant. Le côté fébrile de l’exercice.
En quoi le théâtre est-il essentiel aujourd’hui ?
La simple possibilité de pouvoir s’évader d’une réalité pendant un certain laps de temps est essentiel pour moi. Le théâtre permet d’exprimer énormément de choses. Un propos qu’on ne pourrait peut-être jamais dire ailleurs. Le plateau est un lieu libre où l’on se met à nu. Et l’échange qu’il se passe entre les spectateurs et les acteurs est indélébile et unique. Nous avons besoin du théâtre pour tout cela. La culture est essentielle. Le théâtre est essentiel. Parce que c’est un lieu de vie et de rencontre.
Une rencontre artistique décisive ?
Énormément de rencontres décisives dans ma vie. Que ce soit des gens de passage ou des personnes qui feront partie intégrante de ma vie. Chaque rencontre a compté. J’apprends énormément tous les jours grâce aux merveilleuses personnes que j’ai eu la chance de côtoyer. Avec qui j’ai eu l’opportunité de travailler. Je grandis, je mûris à chaque fois. Il est très difficile pour moi de choisir une seule rencontre artistique qui aurait été décisive tant chacune m’a apporté.
« Cette histoire est racontée avec quelques années de recul, avec la digestion qu’il faut pour parler d’un événement traumatisant... »
Comment est né ce projet Nos années parallèles de Stéphane Corbin et mis en scène par Virginie Lemoine (créé en 2019 au Buffon et actuellement au Théâtre EpiScène) ?
Nous avions joué 31, mis en scène par Virginie (Lemoine) au Théâtre Buffon en 2016 puis au Studio des Champs-Élysées l’année suivante. Stéphane Corbin, alors compositeur de 31, avait pour projet d’adapter sur scène son récit Nos années parallèles avec à la mise en scène Virginie. Un soir en tournée au festival de Saint-Barth, autour d'un apéro, nous étions avec Valérie (Zaccomer) à nous taquiner et à rigoler l’un de l’autre (nous avons la chance de nous connaître depuis longtemps et d’avoir joué quelques fois ensemble). Stéphane, qui discutait de ce projet avec nos producteurs (Jean Pierre Créance et Éric Lafon), cherchait qui pouvait interpréter les rôles de la mère et du fils dans cette pièce. En nous observant, il s’est dit qu’il avait trouvé. Le même soir, il nous proposait ce projet que nous avons accepté avec joie et beaucoup d’alcool.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce(s) parcours croisé(s), ces destins entrecroisés d'un fils et de sa mère ou d’une mère et son fils ?
Le récit, le parcours de cette mère et de ce fils, le fait que ça soit l’histoire de Stéphane (Corbin), le fait de retrouver Valérie comme partenaire, Virginie à la mise en scène. Le récit est universel et très humain. C’est un parcours de vie dans lequel chacun et chacune peut se retrouver. Et je crois que j’ai aimé le fait de pouvoir aborder le deuil avec ce regard tendre et positif.
Le temps qui passe joue un rôle fondamental dans la pièce, il réunit puis il sépare. En quoi ce temps est-il universel ? Et comment influe-t-il sur la trajectoire des personnages.
La maturité, le recul sur certains événements que nous pouvons vivre arrivent avec le temps. Et dans le cadre de cette histoire, il est effectivement primordial car cette histoire est racontée avec quelques années de recul, avec la digestion qu’il faut pour parler d’un événement traumatisant. Chacun des deux personnages va raconter sa vie, sa manière de voir les choses, comment ils ont vécu tout cela et le lien qui les unit à l’autre. L’humour et l’espoir de cette pièce ne peut pas avoir lieu sans le sourire omniprésent du récit. Et celui-ci ne peut arriver qu’avec le temps.
Cette histoire est universelle car c’est un hymne à la vie.
Nous avons tous un lien, peu importe à quoi il peut ressembler, avec nos proches (ici, une mère) et nous vivons tous des moments de vie fébriles et humains qui nous font grandir et qui font ce que nous sommes aujourd’hui.
Le regard de l’auteur, Stéphane Corbin, vous accompagne sur scène par son texte, par sa musique, mais aussi par sa présence au piano et par son parcours. Comment vous êtes-vous emparé de son histoire et y a-t'il des résonances avec la vôtre ?
Il y a toujours des résonances. Encore plus dans cette relation mère et fils. Ma mère est encore présente dans ma vie, je n’ai pas vécu ce qu’a pu vivre Stéphane et pourtant je peux me retrouver dans bon nombre de moments. Ce qui est beau dans la démarche de Stéphane de nous confier cette histoire aussi c’est le fait de vouloir transmettre ce récit, cette relation, ces parcours de vie. Nous ne nous ressemblons pas physiquement lui et moi et l’idée était de s’approprier avec nos énergies cette histoire qui est la sienne et donc de la transposer sur le plateau avec nos personnalités tout en ne dénaturant pas le propos.
Ce qui est intéressant dans un récit autobiographique c’est de pouvoir travailler directement avec la personne qui a vécu les choses, son regard. Ils (Virginie et Stéphane) ont su nous laisser prendre notre place tout en étant très respectueux du récit initial.
La musique est le troisième personnage de la pièce, comment s’accorde ce trio ?
Il s’accorde de manière complètement naturelle. Stéphane a l’art de composer pour les interprètes et pour le théâtre musical à proprement parler. Il connaît nos voix et sait comment rendre fluide le passage entre les scènes et les chansons.
La musique a en plus une grande part dans sa vie et donc dans l’histoire que nous racontons.
Dans ce spectacle, il y a la mère, le fils et la musique.
Le fait de pouvoir être accompagné par Stéphane est un presque nécessaire. Son regard, son écoute, son attention vont avec le spectacle.
J’aime le théâtre musical, j’aime cette forme simple et intime qui ne fait que souligner et sublimer la part de jeu de ce type de spectacle.
Véritable hymne à la vie, à l’amour maternel, comment décririez-vous ce combat contre la maladie de la mère ?
Comme tous combats, le chemin est souvent difficile. Il est ici abordé avec beaucoup de légèreté tout en étant très honnête. C’est effectivement un hymne à la vie dans le sens où on aborde le sujet de la maladie et du deuil avec un certaine franchise mais surtout beaucoup d’optimisme. Tout ce combat fait évoluer le fils dans la relation qu’il peut avoir avec sa mère. Sur le regard qu’il porte sur la vie. L’humour est omniprésent dans la pièce et le recul que peut avoir la mère sur tout son combat est extrêmement intéressant car jamais tragique et jamais pathétique. Le fait de pouvoir parler et dire les choses de manière simple et parfois légère amène une humanité qui donne au spectateur l’émotion forte de regarder deux personnages racontant des moments de vie douloureux avec un regard plein d’espoir et de sourire.
Votre personnage découvre son amour pour les garçons. En quoi ce spectacle réunit le public, dans un climat où la question du genre fait débat ?
Ce sont les histoires d’un amour universel dans lesquelles chacun de nous va pouvoir s’identifier. Que ça soit la relation mère et fils ou son orientation à lui, ce sont des relations vraies, humaines et sincères. Je ne comprends pas que la question du genre puisse encore faire débat aujourd’hui. On ne devrait pas avoir à juger de choses qui sont de l’ordre du personnel et de l’intime. Chacun est libre de vivre sa vie comme il l’entend. Avec le choix et la liberté de pouvoir accéder au bonheur sans ombre au tableau. Si je reviens sur le récit que nous racontons, le personnage du fils raconte son enfance, son adolescence, la découverte de son homosexualité, ses relations houleuses et dramatiques. Et ce qui est intéressant c’est que, comme toute histoire personnelle, même si les faits vécus sont propres à lui, chacun va pouvoir se retrouver dans les émotions vécues. Que ça soit une rupture, un coup de foudre, une déception, un moment de bonheur ultime, ce sont des émotions que tout le monde vit. Peu importe la sexualité, le genre ou l’orientation. Ce par quoi nous passons est universel et commun. Nous sommes tous différents, mais nous sommes tous humains avant tout.
Dans quelle(s) direction(s) vous a dirigé(s) Virginie Lemoine ?
Virginie a toujours voulu que ce spectacle soit tendre et délicat. Et surtout qu’il y ait beaucoup de sourires. Elle ne voulait qu’à aucun moment nous ne tombions dans le pathos. Il y a énormément de poésie sur le plateau, que ça soit dans le texte, dans les images recréées, dans les lumières (du talentueux Denis Koransky), dans la musique. Ce spectacle est mis en scène avec simplicité et élégance. À l’image de Virginie.
C’est très agréable de travailler avec elle. Que ça soit la bienveillance ou l’écoute qu’elle peut avoir vis à vis des comédiens et du texte. Avec peu de choses sur le plateau, elle nous emmène ailleurs avec beaucoup de sincérité.
Cette année, elle voulait qu’on affine nos parcours de rôles respectifs, afin de rendre encore plus lisibles les pensées intérieures. Tout en restant dans beaucoup de subtilité. Ici à Avignon, elle est tous les jours avec nous dans la salle. Avec discrétion et attention. Très perfectionniste, elle n’hésite pas à nous proposer d’essayer des petites choses au fur et à mesure pour encore faire évoluer le spectacle.
C’est une grande artiste que j’aime énormément. Et c’est toujours un plaisir de pouvoir la retrouver sur un projet.
« Soyez là où vous avez envie d’être... »
Une confidence ?
Je suis extrêmement anxieux et je doute beaucoup. Derrière une énergie sociable, joviale et plutôt déterminée, se cache une petite personne qui manque de confiance en elle et se pose beaucoup de questions.
Un acte de résistance ?
Être là. Présent et heureux. Personnellement ou sur un plateau. Que cela plaise ou non. Et lutter contre toutes formes d’inégalités. Que ça soit avec le collectif Les funambules ou au cours d’une discussion dans la rue.
Un signe particulier ?
Je ne fais pas mon âge. En vrai, j’ai 45 ans. Enfin, presque. Non, pas tout à fait. Mais quand même. Je fais plus jeune. Jusqu'à quand ? Ça je ne le sais pas.
Un message personnel ?
Soyez qui vous êtes, vivez heureux et libres. Dénoncez, criez, si cela peut apaiser. Et ne vous perdez jamais. Soyez là où vous avez envie d’être.
Un talent à suivre ?
Bon nombre de nos talentueux élèves du cours Florent comédie musicale.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Tout ce qui ne serait pas vrai.
Un message pour le public ?
J’ai envie de lui dire de continuer à être là. Présent dans toutes sortes de salles ou de manifestations. Pour se nourrir, se divertir, se soutenir. Pour pleurer, rire, extérioriser. Car cela est primordial (pour ne pas dire essentiel) aujourd’hui. Les spectacles ont besoin d’exister et ne peuvent exister sans le public.
Alors juste lui dire merci d’être là.