Depuis son rôle dans La Peur, qui lui vaudra une nomination aux Molières dans la catégorie "Révélation féminine", Hélène Degy cultive les rôles aussi bien au théâtre qu'à l'écran et se révèle décidément à l'aise dans tous les registres. Elle nous confie ici son regard, ses espoirs pour le théâtre de demain et aborde l'écriture de son prochain seule scène Mon sexe est une fête, co-écrit avec Pierre Hélie.
Par Jérôme Réveillère
Photo © Simon Larvaron
« La grande force du théâtre de demain c’est l’histoire avant tout... »
En quoi est-il essentiel de faire du théâtre aujourd’hui ?
Il est essentiel pour moi de faire du théâtre aujourd’hui comme il a été essentiel pour moi d’en faire hier ! Une urgence, un rêve, une réalité, une prise de conscience, une prise de parole, une affirmation de soi, un voyage... une réflexion, un grand bouleversement, un partage sont autant de mots, d’expressions qui me viennent, quand je ferme les yeux et regarde à l’intérieur, quand je repense à ma première fois au théâtre, sur scène. Faire du théâtre a été très tôt pour moi une forme de résistance, de militantisme et même parfois une expression de ma colère, une permission d’expression de soi, surtout lorsque j’entendais trop souvent "c’est pas un métier, tu n’y arriveras pas, c’est trop difficile… mais ça sert à quoi ?".
Et puis ça a été surtout beaucoup de joie, de grandes émotions, un apprentissage de la vie, d’une richesse incroyable, dans les rencontres, le partage, à travers mes lectures, les spectacles, les mises en scène que je suis allée voir. Et aujourd’hui, début janvier 2021, lorsque l’on me retire tout cela, c’est un énorme manque, une partie de moi est en alerte, et une certaine colère qui revient secrètement mais sûrement... Tout en restant positive, j’espère profondément que les choix pris par le gouvernement ne sont qu’un douloureux passage. Les générations à venir ne peuvent pas être amputées de la culture. Le théâtre est essentiel puisqu’il permet, et j’en suis convaincue (à ceux qui le pratiquent au quotidien comme à ceux qui y participent en spectateur) d’entretenir une richesse intérieure, une ouverture aux autres, il permet de croire en ses rêves et d’apprendre à mieux vivre ensemble.
Parfois il n’y a pas forcément grand-chose à inventer, mais plutôt à ré-éclairer.
Comment inventer le théâtre de demain ?
En restant au plus proche de ses convictions, sans céder à la facilité, en continuant à être exigeant, curieux, et à ne pas prendre les spectateurs pour des imbéciles. Parfois il n’y a pas forcément grand-chose à inventer, mais plutôt à ré-éclairer. Mais également par le biais d’auteurs vivants, il est de notre devoir d’aller à leur rencontre, de continuer à les lire, de s’enrichir les uns et les autres. Il n’y a pas de recette miracle pour moi, il y a des intuitions, des visions, des convictions... et du travail, du travail et du travail !
La grande force du théâtre de demain c’est l’histoire avant tout, avant les "têtes d’affiche" avant les moyens déployés. C’est l’histoire, ce que l’on y raconte intimement de soi, l’endroit où cela va nous cueillir, toucher, nous interpeller quel que soit le registre dans lequel l’artiste s’inscrit d’ailleurs. Je rêve d'un monde artistique, où l'on pourrait unir nos envies, nos idées, nos egos et non pas l’inverse pour placer la recherche, la création, au centre de tout et pour tous.
Votre définition de la culture ?
Une terre que l’on soigne toute l’année pour y accueillir l’autre avec les couleurs, les mots, les images, la musique… Ce sont les petites graines que l’on choisit de planter suivant les saisons pour les années à venir ! Pour moi la culture est synonyme de vitalité ! Et donc de bonne santé ! Comme je le disais, la culture pour moi c’est un apprentissage, sur soi et sur le monde, qui passe par tous les sens.
Vos batailles pour la culture ?
Je me sens souvent impuissante quand il s’agit de faire entendre l’essentiel. Dès que je le peux je m’informe et me mobilise. Ma bataille principale est de continuer à y croire, de continuer à écrire, à monter les projets, à ne pas lâcher, de garder une précieuse "naïveté" et de rester positive.
J’entretiens toujours des rapports intimes avec mes personnages.
Votre rencontre avec un metteur en scène ?
Marcel Bluwal, dans À droite toute, un téléfilm. Une préparation digne d’un long-métrage, un grand homme avec qui j’ai eu la chance de tourner, d’autant plus qu’il y témoigne de son époque, de son histoire. Un privilège pour moi. Et puis au théâtre, j’ai eu aussi la chance de rencontrer Wajdi Mouawad en 2001, avant qu’il ne soit vraiment "connu" en France. Un auteur metteur en scène, dont l’univers m’a tellement fascinée.
Votre personnage fétiche ?
J’affectionne tous les personnages que j’ai interprétés. J’entretiens toujours des rapports intimes avec eux ! Mais s’il fallait en choisir un, ce serait Viola dans La Nuit des rois de William Shakespeare, pour l’avoir seulement effleuré.
Votre futur projet ?
La Grande Musique de Stéphane Guérin mis en scène par Salomé Villiers et Mon sexe est une fête un seule en scène que j’ai co-écrit avec mon metteur en scène Pierre Hélie.
« Parler de sexualité, quoi que l’on en dise aujourd’hui, reste encore un sujet tabou... »
Comment est né le projet Mon sexe est une fête ?
En 2006, à la sortie de l’ENSATT, je cherche à monter un seule en scène avec ma première compagnie. Un jour je découvre Un peu de sexe ? Merci, juste pour vous être agréable de Franca Rame et Dario Fo. Je me souviens parfaitement de la sensation qui m’a parcourue quand je l’ai lue ! Le sujet, les mots de cette conférence sur la sexualité résonnent alors si fort en moi, j’y fais immédiatement un lien avec mon histoire personnelle. Franca Rame y raconte mon enfance à travers la sienne alors que deux générations nous séparent. Pendant quelques années je collabore avec plusieurs metteurs en scène, et je présente différentes phases "laboratoires" de cette conférence avec une envie folle de parler de sexualité, de sa transmission, de notre héritage, de nos tabous qui en découlent et de cette envie irrépressible d’aller vers un chemin de liberté, de bonheur, de partage... Puis en 2011, je rencontre Pierre Hélie. Il est à l’époque assistant metteur en scène sur la pièce dans laquelle je joue. C’est un coup de cœur artistique immédiat. Et en 2017 je lui parle de cette thématique qui me suit depuis un certain temps, et il accepte, pour mon plus grand bonheur, d’écrire avec moi et de me mettre en scène. Nous voilà partis pendant trois ans dans un grand laboratoire d’écriture. Nous nous détachons complètement de la conférence de Franca Rame pour laisser place à notre écriture, notre fiction : l’histoire d’Hélène, celle d’une jeune réalisatrice en quête de son plaisir.
Que l’on vienne d’une famille religieuse, aux traditions bien ancrées, ou d’une famille « ouverte » prônant la liberté sexuelle, la transmission n’en reste pas moins délicate.
Comment s’est déroulé le travail d’écriture ?
Je me suis beaucoup nourrie de témoignages depuis 2007, et pendant l’écriture nous avons avec Pierre Hélie questionné notre entourage et d’autres personnes de toutes générations. Nous avons très rapidement pris le parti de la mise en abîme, en racontant le processus d’écriture et de création au travers du parcours d’Hélène, l'héroïne de notre histoire. C’est une quête personnelle, le personnage est en recherche de vérité, d’authenticité. Elle se fourvoie souvent, mais elle avance et approfondit petit à petit ses rapports humains, ses rapports sexuels et amoureux. Nous sommes donc essentiellement partis d’interviews et de témoignages spontanés de nos proches et de rencontres. Puis la trame scénaristique s’est construite au fur et à mesure de nos séances. C’est tellement agréable d’écrire avec Pierre ! Nous nous entendons parfaitement.
Pourquoi parler de frigidité aujourd’hui ? Est-ce encore un sujet tabou ?
Parler de sexualité, quoi que l’on en dise aujourd’hui, reste encore un sujet tabou ! Beaucoup de fausses idées perdurent, et restent en tête de jeunes filles et de jeunes hommes, alors qu’ils sont à l’aube de découvrir intimement tant de choses merveilleuses. Encore faut-il avoir les clefs et suffisamment confiance en soi pour avancer sereinement, malgré un héritage parfois trop lourd à porter. Que l’on vienne d’une famille religieuse, aux traditions bien ancrées, ou d’une famille "ouverte" prônant la liberté sexuelle, la transmission n’en reste pas moins délicate. Il y a donc là un sujet qui offre matière à réflexion ! Nous vivons dans une époque où nous sommes soi-disant « suffisamment informés », « libérés » sexuellement pour savoir ce que l’on veut, ce que l’on ne veut pas. Je pense que c’est plutôt le contraire, et qu’il est toujours aussi compliqué d’évoluer dans ce monde de l’image, du média, des réseaux sociaux... Les codes changent sans cesse.
C’est un spectacle féminin. Et je tenais absolument à ce que les hommes y soient représentés.
Que représentent les applis de rencontres pour vous ? Et les réseaux sociaux en général ?
Les « applis de rencontres » peuvent être un bon moyen pour rencontrer quelqu’un, et tout comme les "réseaux sociaux", ça dépend vraiment comment on s’en sert. Chaque génération a ses codes, sa façon d’utiliser ses outils. Pour moi, tant que ça ne me déconnecte pas de la vie, cette vie faite de rapports humains, cela ne me pose pas de problème.
Quel rôle tient la famille dans le rapport à la sexualité ?
La famille, au sujet de la sexualité, devrait à mon sens, être un endroit où les enfants puissent poser librement leurs questions et obtenir des réponses concrètes, un endroit où l’on ne diabolise pas la chose, où l’on peut être réconforté si besoin.
Vous abordez des thèmes universels tels que la transmission, l’héritage, la religion, la liberté sexuelle, peut-on parler de catharsis ?
Tout à fait ! Après ce long chemin de recherche, ces rencontres passionnantes et enrichissantes pendant ce processus d’écriture, il me tarde de voir naître ces mots sur scène. Je vis et rêve avec ce projet, il a eu le temps d’évoluer en moi. Et mon plus grand bonheur serait de le transmettre, de provoquer à la sortie du spectacle la discussion, le débat, au sein d’une famille, d’un couple, d’un groupe d’amis. Parce que nous avons besoin de parler de sexe de façon positive : "Il n’y a rien de plus beau, de plus courageux, de plus précieux que ça : Deux corps qui s’adonnent ensemble joyeusement à la danse du plaisir" (Extraits. Mon sexe est une fête).
Quelle est la place de l’homme, la vision de l’homme dans un spectacle féminin ?
C’est un spectacle féminin ! Et je tenais absolument à ce que les hommes y soient représentés. J’ai eu beaucoup de témoignages d’hommes qui m’ont touchée et je voulais que l’on puisse les entendre à travers ce spectacle. De toute évidence à travers un prisme féminin, donc pas tout à fait neutre, bref l’idée étant de n’exclure personne.
« Je suis en recherche permanente... »
Une confidence ?
Je suis très très gourmande ! J’ai des périodes où je pourrais passer mon temps à déguster toutes les spécialités culinaires que je ne connais pas. En voyage c’est terrible ! J’aimerais pouvoir avoir un estomac de rechange ! Une autre confidence. Je me remets beaucoup en question peut-être trop parfois. Je suis en recherche permanente, mon perfectionnisme me perd de temps en temps mais ce n’est pas si grave puisqu’il m’aide souvent à avancer, il m’aide beaucoup !
Un acte de résistance ?
Continuer à créer !
Un signe particulier ?
Un accent ch’ti qui va qui vient quoi !
Un lieu préféré ?
Le bar d’un théâtre dont on a les clefs.
Une seule info à retenir sur vous ?
À ce jour aucune carie à déclarer !
Un talent à suivre ?
Tamino ! Une énorme claque musicale ! À découvrir absolument en concert ! Sandra Colombo ! Une autrice - actrice à suivre. Allez la voir dans son seule en scène Que faire des cons ? dès que possible ! Et tant d’autres talents qui m’entourent ! La liste est longue.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Mais quel dommage cette fille a complètement raté sa vie, elle est passée à côté !
« Avec... »
...Le grand cahier d’Agota Kristof, j’ai eu envie de mettre en scène.
...les peintures d’Antoni Tàpies, j’ai compris la matière, le charnel.
...les tableaux de William Turner, j’ai appris certaines émotions.
...le film Titanic de James Cameron, j’ai décidé que je ferai du cinéma.
...La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, mise en scène par Jean-François Sivadier, j’ai rencontré le théâtre que je voulais faire.
...un concert de Mano Solo, j’ai commis une fugue.
...Littoral de Wajdi Mouawad, j’ai goûté au travestissement.
« Mon message au public... »
Continuons tous à faire vibrer, partager, fêter l’art ! C’est vital ! Je souhaite que la culture pour tous revive au plus vite !
Depuis son rôle dans La Peur, qui lui vaudra une nomination aux Molières dans la catégorie "Révélation féminine", Hélène Degy cultive les rôles aussi bien au théâtre qu'à l'écran et se révèle décidément à l'aise dans tous les registres. Elle nous confie ici son regard, ses espoirs pour le théâtre de demain et aborde l'écriture de son prochain seule scène Mon sexe est une fête, co-écrit avec Pierre Hélie.
Photo © Simon Larvaron
« La grande force du théâtre de demain c’est l’histoire avant tout... »
En quoi est-il essentiel de faire du théâtre aujourd’hui ?
Il est essentiel pour moi de faire du théâtre aujourd’hui comme il a été essentiel pour moi d’en faire hier ! Une urgence, un rêve, une réalité, une prise de conscience, une prise de parole, une affirmation de soi, un voyage... une réflexion, un grand bouleversement, un partage sont autant de mots, d’expressions qui me viennent, quand je ferme les yeux et regarde à l’intérieur, quand je repense à ma première fois au théâtre, sur scène. Faire du théâtre a été très tôt pour moi une forme de résistance, de militantisme et même parfois une expression de ma colère, une permission d’expression de soi, surtout lorsque j’entendais trop souvent "c’est pas un métier, tu n’y arriveras pas, c’est trop difficile… mais ça sert à quoi ?".
Et puis ça a été surtout beaucoup de joie, de grandes émotions, un apprentissage de la vie, d’une richesse incroyable, dans les rencontres, le partage, à travers mes lectures, les spectacles, les mises en scène que je suis allée voir. Et aujourd’hui, début janvier 2021, lorsque l’on me retire tout cela, c’est un énorme manque, une partie de moi est en alerte, et une certaine colère qui revient secrètement mais sûrement... Tout en restant positive, j’espère profondément que les choix pris par le gouvernement ne sont qu’un douloureux passage. Les générations à venir ne peuvent pas être amputées de la culture. Le théâtre est essentiel puisqu’il permet, et j’en suis convaincue (à ceux qui le pratiquent au quotidien comme à ceux qui y participent en spectateur) d’entretenir une richesse intérieure, une ouverture aux autres, il permet de croire en ses rêves et d’apprendre à mieux vivre ensemble.
Parfois il n’y a pas forcément grand-chose à inventer, mais plutôt à ré-éclairer.
Comment inventer le théâtre de demain ?
En restant au plus proche de ses convictions, sans céder à la facilité, en continuant à être exigeant, curieux, et à ne pas prendre les spectateurs pour des imbéciles. Parfois il n’y a pas forcément grand-chose à inventer, mais plutôt à ré-éclairer. Mais également par le biais d’auteurs vivants, il est de notre devoir d’aller à leur rencontre, de continuer à les lire, de s’enrichir les uns et les autres. Il n’y a pas de recette miracle pour moi, il y a des intuitions, des visions, des convictions... et du travail, du travail et du travail !
La grande force du théâtre de demain c’est l’histoire avant tout, avant les "têtes d’affiche" avant les moyens déployés. C’est l’histoire, ce que l’on y raconte intimement de soi, l’endroit où cela va nous cueillir, toucher, nous interpeller quel que soit le registre dans lequel l’artiste s’inscrit d’ailleurs. Je rêve d'un monde artistique, où l'on pourrait unir nos envies, nos idées, nos egos et non pas l’inverse pour placer la recherche, la création, au centre de tout et pour tous.
Votre définition de la culture ?
Une terre que l’on soigne toute l’année pour y accueillir l’autre avec les couleurs, les mots, les images, la musique… Ce sont les petites graines que l’on choisit de planter suivant les saisons pour les années à venir ! Pour moi la culture est synonyme de vitalité ! Et donc de bonne santé ! Comme je le disais, la culture pour moi c’est un apprentissage, sur soi et sur le monde, qui passe par tous les sens.
Vos batailles pour la culture ?
Je me sens souvent impuissante quand il s’agit de faire entendre l’essentiel. Dès que je le peux je m’informe et me mobilise. Ma bataille principale est de continuer à y croire, de continuer à écrire, à monter les projets, à ne pas lâcher, de garder une précieuse "naïveté" et de rester positive.
J’entretiens toujours des rapports intimes avec mes personnages.
Votre rencontre avec un metteur en scène ?
Marcel Bluwal, dans À droite toute, un téléfilm. Une préparation digne d’un long-métrage, un grand homme avec qui j’ai eu la chance de tourner, d’autant plus qu’il y témoigne de son époque, de son histoire. Un privilège pour moi. Et puis au théâtre, j’ai eu aussi la chance de rencontrer Wajdi Mouawad en 2001, avant qu’il ne soit vraiment "connu" en France. Un auteur metteur en scène, dont l’univers m’a tellement fascinée.
Votre personnage fétiche ?
J’affectionne tous les personnages que j’ai interprétés. J’entretiens toujours des rapports intimes avec eux ! Mais s’il fallait en choisir un, ce serait Viola dans La Nuit des rois de William Shakespeare, pour l’avoir seulement effleuré.
Votre futur projet ?
La Grande Musique de Stéphane Guérin mis en scène par Salomé Villiers et Mon sexe est une fête un seule en scène que j’ai co-écrit avec mon metteur en scène Pierre Hélie.
« Parler de sexualité, quoi que l’on en dise aujourd’hui, reste encore un sujet tabou... »
Comment est né le projet Mon sexe est une fête ?
En 2006, à la sortie de l’ENSATT, je cherche à monter un seule en scène avec ma première compagnie. Un jour je découvre Un peu de sexe ? Merci, juste pour vous être agréable de Franca Rame et Dario Fo. Je me souviens parfaitement de la sensation qui m’a parcourue quand je l’ai lue ! Le sujet, les mots de cette conférence sur la sexualité résonnent alors si fort en moi, j’y fais immédiatement un lien avec mon histoire personnelle. Franca Rame y raconte mon enfance à travers la sienne alors que deux générations nous séparent. Pendant quelques années je collabore avec plusieurs metteurs en scène, et je présente différentes phases "laboratoires" de cette conférence avec une envie folle de parler de sexualité, de sa transmission, de notre héritage, de nos tabous qui en découlent et de cette envie irrépressible d’aller vers un chemin de liberté, de bonheur, de partage... Puis en 2011, je rencontre Pierre Hélie. Il est à l’époque assistant metteur en scène sur la pièce dans laquelle je joue. C’est un coup de cœur artistique immédiat. Et en 2017 je lui parle de cette thématique qui me suit depuis un certain temps, et il accepte, pour mon plus grand bonheur, d’écrire avec moi et de me mettre en scène. Nous voilà partis pendant trois ans dans un grand laboratoire d’écriture. Nous nous détachons complètement de la conférence de Franca Rame pour laisser place à notre écriture, notre fiction : l’histoire d’Hélène, celle d’une jeune réalisatrice en quête de son plaisir.
Que l’on vienne d’une famille religieuse, aux traditions bien ancrées, ou d’une famille « ouverte » prônant la liberté sexuelle, la transmission n’en reste pas moins délicate.
Comment s’est déroulé le travail d’écriture ?
Je me suis beaucoup nourrie de témoignages depuis 2007, et pendant l’écriture nous avons avec Pierre Hélie questionné notre entourage et d’autres personnes de toutes générations. Nous avons très rapidement pris le parti de la mise en abîme, en racontant le processus d’écriture et de création au travers du parcours d’Hélène, l'héroïne de notre histoire. C’est une quête personnelle, le personnage est en recherche de vérité, d’authenticité. Elle se fourvoie souvent, mais elle avance et approfondit petit à petit ses rapports humains, ses rapports sexuels et amoureux. Nous sommes donc essentiellement partis d’interviews et de témoignages spontanés de nos proches et de rencontres. Puis la trame scénaristique s’est construite au fur et à mesure de nos séances. C’est tellement agréable d’écrire avec Pierre ! Nous nous entendons parfaitement.
Pourquoi parler de frigidité aujourd’hui ? Est-ce encore un sujet tabou ?
Parler de sexualité, quoi que l’on en dise aujourd’hui, reste encore un sujet tabou ! Beaucoup de fausses idées perdurent, et restent en tête de jeunes filles et de jeunes hommes, alors qu’ils sont à l’aube de découvrir intimement tant de choses merveilleuses. Encore faut-il avoir les clefs et suffisamment confiance en soi pour avancer sereinement, malgré un héritage parfois trop lourd à porter. Que l’on vienne d’une famille religieuse, aux traditions bien ancrées, ou d’une famille "ouverte" prônant la liberté sexuelle, la transmission n’en reste pas moins délicate. Il y a donc là un sujet qui offre matière à réflexion ! Nous vivons dans une époque où nous sommes soi-disant « suffisamment informés », « libérés » sexuellement pour savoir ce que l’on veut, ce que l’on ne veut pas. Je pense que c’est plutôt le contraire, et qu’il est toujours aussi compliqué d’évoluer dans ce monde de l’image, du média, des réseaux sociaux... Les codes changent sans cesse.
C’est un spectacle féminin. Et je tenais absolument à ce que les hommes y soient représentés.
Que représentent les applis de rencontres pour vous ? Et les réseaux sociaux en général ?
Les « applis de rencontres » peuvent être un bon moyen pour rencontrer quelqu’un, et tout comme les "réseaux sociaux", ça dépend vraiment comment on s’en sert. Chaque génération a ses codes, sa façon d’utiliser ses outils. Pour moi, tant que ça ne me déconnecte pas de la vie, cette vie faite de rapports humains, cela ne me pose pas de problème.
Quel rôle tient la famille dans le rapport à la sexualité ?
La famille, au sujet de la sexualité, devrait à mon sens, être un endroit où les enfants puissent poser librement leurs questions et obtenir des réponses concrètes, un endroit où l’on ne diabolise pas la chose, où l’on peut être réconforté si besoin.
Vous abordez des thèmes universels tels que la transmission, l’héritage, la religion, la liberté sexuelle, peut-on parler de catharsis ?
Tout à fait ! Après ce long chemin de recherche, ces rencontres passionnantes et enrichissantes pendant ce processus d’écriture, il me tarde de voir naître ces mots sur scène. Je vis et rêve avec ce projet, il a eu le temps d’évoluer en moi. Et mon plus grand bonheur serait de le transmettre, de provoquer à la sortie du spectacle la discussion, le débat, au sein d’une famille, d’un couple, d’un groupe d’amis. Parce que nous avons besoin de parler de sexe de façon positive : "Il n’y a rien de plus beau, de plus courageux, de plus précieux que ça : Deux corps qui s’adonnent ensemble joyeusement à la danse du plaisir" (Extraits. Mon sexe est une fête).
Quelle est la place de l’homme, la vision de l’homme dans un spectacle féminin ?
C’est un spectacle féminin ! Et je tenais absolument à ce que les hommes y soient représentés. J’ai eu beaucoup de témoignages d’hommes qui m’ont touchée et je voulais que l’on puisse les entendre à travers ce spectacle. De toute évidence à travers un prisme féminin, donc pas tout à fait neutre, bref l’idée étant de n’exclure personne.
« Je suis en recherche permanente... »
Une confidence ?
Je suis très très gourmande ! J’ai des périodes où je pourrais passer mon temps à déguster toutes les spécialités culinaires que je ne connais pas. En voyage c’est terrible ! J’aimerais pouvoir avoir un estomac de rechange ! Une autre confidence. Je me remets beaucoup en question peut-être trop parfois. Je suis en recherche permanente, mon perfectionnisme me perd de temps en temps mais ce n’est pas si grave puisqu’il m’aide souvent à avancer, il m’aide beaucoup !
Un acte de résistance ?
Continuer à créer !
Un signe particulier ?
Un accent ch’ti qui va qui vient quoi !
Un lieu préféré ?
Le bar d’un théâtre dont on a les clefs.
Une seule info à retenir sur vous ?
À ce jour aucune carie à déclarer !
Un talent à suivre ?
Tamino ! Une énorme claque musicale ! À découvrir absolument en concert ! Sandra Colombo ! Une autrice - actrice à suivre. Allez la voir dans son seule en scène Que faire des cons ? dès que possible ! Et tant d’autres talents qui m’entourent ! La liste est longue.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Mais quel dommage cette fille a complètement raté sa vie, elle est passée à côté !
« Avec... »
...Le grand cahier d’Agota Kristof, j’ai eu envie de mettre en scène.
...les peintures d’Antoni Tàpies, j’ai compris la matière, le charnel.
...les tableaux de William Turner, j’ai appris certaines émotions.
...le film Titanic de James Cameron, j’ai décidé que je ferai du cinéma.
...La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, mise en scène par Jean-François Sivadier, j’ai rencontré le théâtre que je voulais faire.
...un concert de Mano Solo, j’ai commis une fugue.
...Littoral de Wajdi Mouawad, j’ai goûté au travestissement.
« Mon message au public... »
Continuons tous à faire vibrer, partager, fêter l’art ! C’est vital ! Je souhaite que la culture pour tous revive au plus vite !