Très tôt, le comédien Hervé Rey découvre "Au théâtre ce soir" et le déclic est immédiat : le théâtre ou rien. Depuis, il multiplie les expériences et les rencontres artistiques, au théâtre comme au cinéma. En parallèle de sa carrière de comédien, il soutient, avec sa compagnie théâtrale "Seizième Étage", des créations polymorphes dont Je venais voir la mer de Nicolas Girard-Michelotti. Actuellement en pleine création, il nous en dit plus sur ce monologue.
Par Jérôme Réveillère
Photo © Céline Nieszawer
« Je suis très sensible à l’importance de l’accès à la culture... »
En quoi le théâtre est-il essentiel aujourd’hui ?
Après la période d'isolement terrible qui nous a frappé.e.s, le besoin de se réunir pour se voir représenté.e.s sur une scène de théâtre me semble essentiel et irremplaçable. Cette dimension du "vivant" qu'apporte le théâtre est unique.
Comment voyez-vous le théâtre demain ?
Débridé dans ses formes. Multiple dans ses espaces, donc aussi bien dans que hors des théâtres. Poétique dans ses violences. Et surtout, accessible au plus grand nombre, sans distinction d’âge ni de milieu social.
Votre définition de la culture ?
C’est une bien vaste question et je me sens tout petit pour y répondre. Je dirais que c’est tout ce qui émeut, ce qui fait réfléchir, ce qui laisse des traces et fait avancer.
Vos batailles pour la culture ?
Je ne pense pas, à proprement parler, mener des batailles. Mais assurément je suis très sensible à l’importance de l’accès à la culture. Dans toutes ses formes et pour tous. Ma compagnie, "Seizième Étage", propose des ateliers sur l’écriture et la mise en récit. J’interviens également dans la Section Acteur de l’école Kourtrajmé. Il est vital à mes yeux que les artistes et les spectateur.trice.s en devenir, celles et ceux qui se disent « ce n’est pas pour moi » puissent se rendre compte qu'en fait si ! La culture c’est aussi pour elles et eux.
Qu'est-ce qui vous a fait aimer / choisir le théâtre ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai voulu être comédien et je n’ai jamais envisagé d'autre possibilité. Un remède à mes problèmes de santé ? La fiction plus belle que ma réalité d’alors ? Une nécessité vitale qui cachait à peine son nom d’autant que tout s’est réglé rapidement lorsque j’ai commencé à tourner à l’âge de 10 ans. J’ai découvert le théâtre à la télévision. Mes parents et moi ne rations jamais une diffusion de la fameuse émission « Au théâtre ce soir ». Quelle ne fut pas ma joie de rencontrer et jouer au théâtre avec ces immenses comédiens que je voyais à l’écran, comme Jean Le Poulain, Jean Marais, Edwige Feuillère, Marion Game pour ne citer qu’eux. Par la suite, l’échange avec le public a définitivement scellé mon avenir.
Une rencontre artistique décisive ?
J’ai la chance d’en avoir eu beaucoup mais celle que je retiens c’est ma rencontre avec les textes de Nicolas Girard-Michelotti, un tout jeune auteur. J’ai su immédiatement que je voulais et devais faire quelque chose avec son univers et c’est ce qui m’a donné l’élan que j’attendais, que j’espérais depuis un certain temps pour fonder ma compagnie.
Un personnage fétiche ?
Je ne le connais pas encore ! J’ai tellement de textes et de rôles à découvrir... J’ai longtemps rêvé de jouer Néron dans Britannicus de Racine, maintenant j’ai plutôt l’âge de jouer Narcisse, ça me plairait beaucoup.
« Le spectacle évoluera dans un univers brumeux, il y aura les embruns, il y aura la pluie... »
Quel a été le déclencheur de Je venais voir la mer de Nicolas Girard-Michelotti ?
En plus de sa pièce Pavillon A, sur laquelle nous avons commencé à travailler et dont la production est différée depuis la crise sanitaire, nous avions un désir commun : qu’il écrive un texte pour moi.
Lors du premier confinement, en mars 2020, le Théâtre du Lucernaire m’a sollicité pour faire une vidéo qui serait mise en ligne sur leurs réseaux sociaux : la lecture d’un texte court de mon choix. Naturellement, je me suis tourné vers Nicolas. Nous avons parlé, réfléchi, et c’est ainsi que la première ébauche de Je venais voir la mer a vu le jour.
Quelles sont les principales thématiques abordées ?
La forme monologuée permet de passer par beaucoup de recoins de la pensée. Si le personnage parle pendant si longtemps seul, c’est qu’il a du mal à dire les choses, qu’il cherche comment les dire… Mais disons qu'ici les thématiques principales sont le silence, la séparation, l’arrachement, l’espoir, la culpabilité.
Comment s’est imposé le choix du metteur en scène Nicolas Petisoff ? Est-ce une histoire de rencontres ?
Absolument ! Je venais voir la mer était, il y a quelques mois, une matière en mouvement, et très vite il m’a semblé essentiel de nous associer une troisième personne pour donner vie à cette création. Il y eut alors une évidence.
C’est en 2017, lors d’un festival que je rencontre Nicolas Petisoff, auteur comédien et interprète au sein de la 114 Cie. Nous nous découvrons des connaissances communes, des goûts artistiques semblables et très vite, quand nous nous parlons, nos sensibilités se rejoignent. Je suis bouleversé quand je vois la première présentation de son spectacle Parpaing. Je comprends mieux cette fluidité, cette évidence dans nos échanges et je lui fais lire des premières bribes de Je venais voir la mer. Dans nos premières discussions s’imposent des paysages de Gerhard Richter, des photographies de Wolfgang Tillmans, un corps isolé dans un espace contraint à l’image des fantômes de Francis Bacon... Le travail a commencé.
J’avais envie de trouver les mots pour dire le silence ; le silence de l’autre, celui qui peut rendre fou quand on attend une réponse.
Pourquoi le choix d’un monologue sur l’histoire d’un couple et d’un enfant ? Comment cette histoire trouve-t-elle un écho en vous ?
C’est le fruit de nos conversations avec Nicolas Girard-Michelotti, des confidences sur nos peurs, des anecdotes, autant de fils que nous avons tirés pour tisser ce texte. Le monologue s’est vite imposé, comme si lui seul pouvait faire s’incarner les voix multiples qui résonnent dans le personnage. Aussi bien pour l’auteur que pour moi, le monologue est une fascinante difficulté. Et tous deux, nous avons envie de nous y confronter, dans l’écriture pour lui, dans le jeu pour moi. « Comment » cette histoire trouve un écho en moi, c’est très personnel et finalement pas très intéressant pour le spectateur, mais c’est très concret pour moi. C’est cela qui compte, que ce soit concret. Et j’espère que cela permettra au public d’y trouver son propre écho.
Qui est donc cet enfant qui traverse la pièce ? Ne touche-t-on pas ici à l’universalité et à la grande solitude de l’humain ?
Universalité et grande solitude de l’humain, ce sont de bien grands thèmes. Je pense que le but du théâtre est toujours d’y tendre. Cet enfant, c’est l’enfant de l’autre. Le reste est à découvrir en venant voir le spectacle.
Il (le metteur en scène Nicolas Petisoff, ndlr) a imaginé un espace grand comme un homme, un cube comme les frontières tracées entre le fantasme et le réel dans les autoportraits de Francis Bacon [...] Sur le fond de ce cube, il y aurait une toile de projection...
Est-ce la première fois que vous abordez une écriture contemporaine, je parle ici d’auteurs vivants. Se confronter au monologue, être seul en scène, est-ce un défi que vous vous lancez ou une envie délibérée de vaincre une peur ?
Ce n’est pas la première fois que j’aborde une écriture contemporaine mais l’écriture de Nicolas Girard-Michelotti est différente de celles que j’ai pu aborder par le passé car elle a sa propre langue très imagée et poétique. Le monologue n’était pas une volonté de me challenger ni de vaincre une peur, j’avais envie de trouver les mots pour dire le silence ; le silence de l’autre, celui qui peut rendre fou quand on attend une réponse. La forme s’est imposée d'elle-même. En général, quand je commence un projet, j’ai toujours l’impression d’être un débutant, j’ai toujours l’envie de travailler de manière inédite pour moi, de sortir de mes zones de confort. C’est ce qui me met vraiment au défi.
La scénographie occupe une place importante dans votre projet. Quelles en sont les inspirations, et comment s’articule-t-elle ?
Un imaginaire s’est assez vite imposé à Nicolas Petisoff durant le processus de recherche de mise en scène. Il fallait capturer l’infiniment grand dans un espace à taille humaine. Il a rêvé d’une boule à neige, dans laquelle on tente de résumer l’incompressible souvenir d’un moment de vie, mais dans son imaginaire, il ne neige pas au bord de la mer. Alors il a imaginé un espace grand comme un homme, un cube comme les frontières tracées entre le fantasme et le réel dans les autoportraits de Francis Bacon, un objet aux arêtes lumineuses. Sur le fond de ce cube, il y aurait une toile de projection, on y ferait défiler des univers, des matières, des éléments entre l’abstrait et le vivant. Il s’agira, par ces images vidéo en perpétuel mouvement, d’accompagner un vertige, de suggérer une solitude, de donner à voir le chaud ou le froid, le sombre et le lumineux.
Le spectacle évoluera dans un univers brumeux, à l’image de la pensée du personnage de notre histoire, il y aura les embruns, il y aura la pluie.
Ce cube sera comme un îlot, une tranche de vie, une carotte glaciaire qui témoignera de l’histoire de la vie d’un homme comme un gros plan de cinéma. Comme sur un plateau de cinéma, la technique sera très présente, visible, elle sera autour et au-dessus de cet espace, c’est l’œil qui voit, c’est la pensée qui dirige.
Mon implication c’est d’abord d’écouter, et d’accompagner ses propositions. J’ai hâte d’y être !
Quels sont vos prochains projets ?
Hormis Je venais voir la mer qui va me prendre beaucoup de temps, si tout va bien, la reprise à l’automne d’Helsingor, château d’Hamlet, dans le château de Vincennes. Il s’agit de la version immersive de la pièce de Shakespeare mise en scène par Léonard Matton. Une aventure incroyable !
« Oser... »
Une confidence ?
J’aimerais ne plus avoir peur et tout oser.
Un acte de résistance ?
Oser revendiquer la singularité et aider à s’exprimer toutes les singularités.
Un signe particulier ?
J’adore aller un peu partout en France découvrir des comédiens, des metteurs en scène, des gestes artistiques. Ça renouvelle la fête du théâtre, ça permet un autre état d’esprit, d’autres rencontres.
Un message personnel ?
J’arrive ! (rire)
Un talent à suivre ?
Dimitri Doré, un jeune comédien que j’aime, justement parce qu’il est si singulier. Il est actuellement en tournée avec Rémi le spectacle de Jonathan Capdevielle dont il interprète le rôle-titre.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Que je suis fainéant.
« Avec... »
...Nantes, la chanson de Barbara découverte à 14 ans, j’ai eu envie de tout écouter d’elle, de tout connaître et de la rencontrer. C’est une chanteuse qui m’accompagne continuellement.
...L’École d’Athènes, la fresque de Raphaël qu’on peut admirer au Vatican, j’ai compris que je pouvais pleurer devant une œuvre qui ne serait pas cinématographique, théâtrale ou littéraire. Je ne comprenais simplement pas comment ça pouvait arriver avant de le vivre.
...Baisers volés et en général avec le cinéma de Truffaut j'ai appris à apprécier d’autres formes de jeu, d’autres musiques d’acteurs, différentes de celles des films que je regardais avec mes parents. Je découvrais la Nouvelle Vague.
...La grande Bellezza et, plus largement, avec les œuvres de Paolo Sorrentino, Alice Rohrwacher, Luca Guadagnino, Piero Messina… j’ai décidé d’apprendre l’italien. Je suis, d’ailleurs, actuellement à Rome pour y prendre des cours en immersion.
...Le chien, la nuit et le couteau, j’ai rencontré le travail du Munstrum Théâtre – Louis Arène/Lionel Lingelser et son univers acide, drôle, exigeant et encore une fois, singulier.
...Twin Peaks de David Lynch, j’ai commis mon premier Binge Watching.
...I want to believe, exposition de Cai Guo-Qiang au Guggenheim de New York j’ai goûté à l’émotion de l’art contemporain. Durant cette exposition, j’ai ressenti un tel choc, une émotion et une violence difficiles à transcrire… Un choc !
« Mon message au public... »
Osez découvrir. Près de chez vous il y a sûrement des artistes qui vous toucheront. Frottez-vous aux arts vivants. Osez pousser les portes des théâtres, des musées. Ces lieux sont à vous et pour vous.
Très tôt, le comédien Hervé Rey découvre "Au théâtre ce soir" et le déclic est immédiat : le théâtre ou rien. Depuis, il multiplie les expériences et les rencontres artistiques, au théâtre comme au cinéma. En parallèle de sa carrière de comédien, il soutient, avec sa compagnie théâtrale "Seizième Étage", des créations polymorphes dont Je venais voir la mer de Nicolas Girard-Michelotti. Actuellement en pleine création, il nous en dit plus sur ce monologue.
Photo © Céline Nieszawer
« Je suis très sensible à l’importance de l’accès à la culture... »
En quoi le théâtre est-il essentiel aujourd’hui ?
Après la période d'isolement terrible qui nous a frappé.e.s, le besoin de se réunir pour se voir représenté.e.s sur une scène de théâtre me semble essentiel et irremplaçable. Cette dimension du "vivant" qu'apporte le théâtre est unique.
Comment voyez-vous le théâtre demain ?
Débridé dans ses formes. Multiple dans ses espaces, donc aussi bien dans que hors des théâtres. Poétique dans ses violences. Et surtout, accessible au plus grand nombre, sans distinction d’âge ni de milieu social.
Votre définition de la culture ?
C’est une bien vaste question et je me sens tout petit pour y répondre. Je dirais que c’est tout ce qui émeut, ce qui fait réfléchir, ce qui laisse des traces et fait avancer.
Vos batailles pour la culture ?
Je ne pense pas, à proprement parler, mener des batailles. Mais assurément je suis très sensible à l’importance de l’accès à la culture. Dans toutes ses formes et pour tous. Ma compagnie, "Seizième Étage", propose des ateliers sur l’écriture et la mise en récit. J’interviens également dans la Section Acteur de l’école Kourtrajmé. Il est vital à mes yeux que les artistes et les spectateur.trice.s en devenir, celles et ceux qui se disent « ce n’est pas pour moi » puissent se rendre compte qu'en fait si ! La culture c’est aussi pour elles et eux.
Qu'est-ce qui vous a fait aimer / choisir le théâtre ?
Dès mon plus jeune âge, j’ai voulu être comédien et je n’ai jamais envisagé d'autre possibilité. Un remède à mes problèmes de santé ? La fiction plus belle que ma réalité d’alors ? Une nécessité vitale qui cachait à peine son nom d’autant que tout s’est réglé rapidement lorsque j’ai commencé à tourner à l’âge de 10 ans. J’ai découvert le théâtre à la télévision. Mes parents et moi ne rations jamais une diffusion de la fameuse émission « Au théâtre ce soir ». Quelle ne fut pas ma joie de rencontrer et jouer au théâtre avec ces immenses comédiens que je voyais à l’écran, comme Jean Le Poulain, Jean Marais, Edwige Feuillère, Marion Game pour ne citer qu’eux. Par la suite, l’échange avec le public a définitivement scellé mon avenir.
Une rencontre artistique décisive ?
J’ai la chance d’en avoir eu beaucoup mais celle que je retiens c’est ma rencontre avec les textes de Nicolas Girard-Michelotti, un tout jeune auteur. J’ai su immédiatement que je voulais et devais faire quelque chose avec son univers et c’est ce qui m’a donné l’élan que j’attendais, que j’espérais depuis un certain temps pour fonder ma compagnie.
Un personnage fétiche ?
Je ne le connais pas encore ! J’ai tellement de textes et de rôles à découvrir... J’ai longtemps rêvé de jouer Néron dans Britannicus de Racine, maintenant j’ai plutôt l’âge de jouer Narcisse, ça me plairait beaucoup.
« Le spectacle évoluera dans un univers brumeux, il y aura les embruns, il y aura la pluie... »
Quel a été le déclencheur de Je venais voir la mer de Nicolas Girard-Michelotti ?
En plus de sa pièce Pavillon A, sur laquelle nous avons commencé à travailler et dont la production est différée depuis la crise sanitaire, nous avions un désir commun : qu’il écrive un texte pour moi.
Lors du premier confinement, en mars 2020, le Théâtre du Lucernaire m’a sollicité pour faire une vidéo qui serait mise en ligne sur leurs réseaux sociaux : la lecture d’un texte court de mon choix. Naturellement, je me suis tourné vers Nicolas. Nous avons parlé, réfléchi, et c’est ainsi que la première ébauche de Je venais voir la mer a vu le jour.
Quelles sont les principales thématiques abordées ?
La forme monologuée permet de passer par beaucoup de recoins de la pensée. Si le personnage parle pendant si longtemps seul, c’est qu’il a du mal à dire les choses, qu’il cherche comment les dire… Mais disons qu'ici les thématiques principales sont le silence, la séparation, l’arrachement, l’espoir, la culpabilité.
Comment s’est imposé le choix du metteur en scène Nicolas Petisoff ? Est-ce une histoire de rencontres ?
Absolument ! Je venais voir la mer était, il y a quelques mois, une matière en mouvement, et très vite il m’a semblé essentiel de nous associer une troisième personne pour donner vie à cette création. Il y eut alors une évidence.
C’est en 2017, lors d’un festival que je rencontre Nicolas Petisoff, auteur comédien et interprète au sein de la 114 Cie. Nous nous découvrons des connaissances communes, des goûts artistiques semblables et très vite, quand nous nous parlons, nos sensibilités se rejoignent. Je suis bouleversé quand je vois la première présentation de son spectacle Parpaing. Je comprends mieux cette fluidité, cette évidence dans nos échanges et je lui fais lire des premières bribes de Je venais voir la mer. Dans nos premières discussions s’imposent des paysages de Gerhard Richter, des photographies de Wolfgang Tillmans, un corps isolé dans un espace contraint à l’image des fantômes de Francis Bacon... Le travail a commencé.
J’avais envie de trouver les mots pour dire le silence ; le silence de l’autre, celui qui peut rendre fou quand on attend une réponse.
Pourquoi le choix d’un monologue sur l’histoire d’un couple et d’un enfant ? Comment cette histoire trouve-t-elle un écho en vous ?
C’est le fruit de nos conversations avec Nicolas Girard-Michelotti, des confidences sur nos peurs, des anecdotes, autant de fils que nous avons tirés pour tisser ce texte. Le monologue s’est vite imposé, comme si lui seul pouvait faire s’incarner les voix multiples qui résonnent dans le personnage. Aussi bien pour l’auteur que pour moi, le monologue est une fascinante difficulté. Et tous deux, nous avons envie de nous y confronter, dans l’écriture pour lui, dans le jeu pour moi. « Comment » cette histoire trouve un écho en moi, c’est très personnel et finalement pas très intéressant pour le spectateur, mais c’est très concret pour moi. C’est cela qui compte, que ce soit concret. Et j’espère que cela permettra au public d’y trouver son propre écho.
Qui est donc cet enfant qui traverse la pièce ? Ne touche-t-on pas ici à l’universalité et à la grande solitude de l’humain ?
Universalité et grande solitude de l’humain, ce sont de bien grands thèmes. Je pense que le but du théâtre est toujours d’y tendre. Cet enfant, c’est l’enfant de l’autre. Le reste est à découvrir en venant voir le spectacle.
Il (le metteur en scène Nicolas Petisoff, ndlr) a imaginé un espace grand comme un homme, un cube comme les frontières tracées entre le fantasme et le réel dans les autoportraits de Francis Bacon [...] Sur le fond de ce cube, il y aurait une toile de projection...
Est-ce la première fois que vous abordez une écriture contemporaine, je parle ici d’auteurs vivants. Se confronter au monologue, être seul en scène, est-ce un défi que vous vous lancez ou une envie délibérée de vaincre une peur ?
Ce n’est pas la première fois que j’aborde une écriture contemporaine mais l’écriture de Nicolas Girard-Michelotti est différente de celles que j’ai pu aborder par le passé car elle a sa propre langue très imagée et poétique. Le monologue n’était pas une volonté de me challenger ni de vaincre une peur, j’avais envie de trouver les mots pour dire le silence ; le silence de l’autre, celui qui peut rendre fou quand on attend une réponse. La forme s’est imposée d'elle-même. En général, quand je commence un projet, j’ai toujours l’impression d’être un débutant, j’ai toujours l’envie de travailler de manière inédite pour moi, de sortir de mes zones de confort. C’est ce qui me met vraiment au défi.
La scénographie occupe une place importante dans votre projet. Quelles en sont les inspirations, et comment s’articule-t-elle ?
Un imaginaire s’est assez vite imposé à Nicolas Petisoff durant le processus de recherche de mise en scène. Il fallait capturer l’infiniment grand dans un espace à taille humaine. Il a rêvé d’une boule à neige, dans laquelle on tente de résumer l’incompressible souvenir d’un moment de vie, mais dans son imaginaire, il ne neige pas au bord de la mer. Alors il a imaginé un espace grand comme un homme, un cube comme les frontières tracées entre le fantasme et le réel dans les autoportraits de Francis Bacon, un objet aux arêtes lumineuses. Sur le fond de ce cube, il y aurait une toile de projection, on y ferait défiler des univers, des matières, des éléments entre l’abstrait et le vivant. Il s’agira, par ces images vidéo en perpétuel mouvement, d’accompagner un vertige, de suggérer une solitude, de donner à voir le chaud ou le froid, le sombre et le lumineux.
Le spectacle évoluera dans un univers brumeux, à l’image de la pensée du personnage de notre histoire, il y aura les embruns, il y aura la pluie.
Ce cube sera comme un îlot, une tranche de vie, une carotte glaciaire qui témoignera de l’histoire de la vie d’un homme comme un gros plan de cinéma. Comme sur un plateau de cinéma, la technique sera très présente, visible, elle sera autour et au-dessus de cet espace, c’est l’œil qui voit, c’est la pensée qui dirige.
Mon implication c’est d’abord d’écouter, et d’accompagner ses propositions. J’ai hâte d’y être !
Quels sont vos prochains projets ?
Hormis Je venais voir la mer qui va me prendre beaucoup de temps, si tout va bien, la reprise à l’automne d’Helsingor, château d’Hamlet, dans le château de Vincennes. Il s’agit de la version immersive de la pièce de Shakespeare mise en scène par Léonard Matton. Une aventure incroyable !
« Oser... »
Une confidence ?
J’aimerais ne plus avoir peur et tout oser.
Un acte de résistance ?
Oser revendiquer la singularité et aider à s’exprimer toutes les singularités.
Un signe particulier ?
J’adore aller un peu partout en France découvrir des comédiens, des metteurs en scène, des gestes artistiques. Ça renouvelle la fête du théâtre, ça permet un autre état d’esprit, d’autres rencontres.
Un message personnel ?
J’arrive ! (rire)
Un talent à suivre ?
Dimitri Doré, un jeune comédien que j’aime, justement parce qu’il est si singulier. Il est actuellement en tournée avec Rémi le spectacle de Jonathan Capdevielle dont il interprète le rôle-titre.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Que je suis fainéant.
« Avec... »
...Nantes, la chanson de Barbara découverte à 14 ans, j’ai eu envie de tout écouter d’elle, de tout connaître et de la rencontrer. C’est une chanteuse qui m’accompagne continuellement.
...L’École d’Athènes, la fresque de Raphaël qu’on peut admirer au Vatican, j’ai compris que je pouvais pleurer devant une œuvre qui ne serait pas cinématographique, théâtrale ou littéraire. Je ne comprenais simplement pas comment ça pouvait arriver avant de le vivre.
...Baisers volés et en général avec le cinéma de Truffaut j'ai appris à apprécier d’autres formes de jeu, d’autres musiques d’acteurs, différentes de celles des films que je regardais avec mes parents. Je découvrais la Nouvelle Vague.
...La grande Bellezza et, plus largement, avec les œuvres de Paolo Sorrentino, Alice Rohrwacher, Luca Guadagnino, Piero Messina… j’ai décidé d’apprendre l’italien. Je suis, d’ailleurs, actuellement à Rome pour y prendre des cours en immersion.
...Le chien, la nuit et le couteau, j’ai rencontré le travail du Munstrum Théâtre – Louis Arène/Lionel Lingelser et son univers acide, drôle, exigeant et encore une fois, singulier.
...Twin Peaks de David Lynch, j’ai commis mon premier Binge Watching.
...I want to believe, exposition de Cai Guo-Qiang au Guggenheim de New York j’ai goûté à l’émotion de l’art contemporain. Durant cette exposition, j’ai ressenti un tel choc, une émotion et une violence difficiles à transcrire… Un choc !
« Mon message au public... »
Osez découvrir. Près de chez vous il y a sûrement des artistes qui vous toucheront. Frottez-vous aux arts vivants. Osez pousser les portes des théâtres, des musées. Ces lieux sont à vous et pour vous.