Actuellement à l'affiche dans le spectacle Là-bas, de l'autre côté de l'eau au Théâtre La Bruyère, portée par douze comédiens, Maud Forget revient sur cette épopée théâtrale écrite par Pierre-Olivier Scotto, où se mêlent le destin d'hommes et de femmes pendant les événements de la guerre d'Algérie. Elle s'estime chanceuse d'avoir rencontré le metteur en scène Xavier Lemaire.
Par Jérôme Réveillère
Photo © Lisa Lesourd
« La culture est le témoin de nos vies... »
Qu'est-ce qui vous a fait aimer / choisir le théâtre ?
La liberté et l’intensité que ça apporte en tant que comédien. C’est l’endroit où tout est possible. Et si je me place aussi en tant que spectatrice, c’est le rapport direct à l’imaginaire. Le théâtre peut décupler notre capacité à croire en toutes formes de récit.
Votre définition de la culture ?
La culture est le témoin de nos vies. Elle est aussi le passeur de nos espoirs et de nos souffrances.
Une rencontre artistique décisive ?
C’était d’abord une rencontre cinématographique avec Jean-Pierre Améris qui m’a offert la chance de jouer mon premier rôle au cinéma. Une expérience magique et révélatrice : un sentiment d’être à sa place comme une évidence.
Plus tard, ce fut celle de Steve Kalfa, un coach merveilleux, qui a élevé ma conception de l’acteur. Ce qu’il nous transmettait était si généreux, si incarné, si vrai et en même temps très simple. Mais la simplicité n’est-elle pas ce qu’on recherche tous et toutes ? Et puis la rencontre qui a été comme un uppercut, c’est la découverte du travail de Wajdi Mouawad. Hélas, je n’ai jamais eu le privilège de le rencontrer.
« Si cette histoire peut éveiller les consciences, j’en serai la plus heureuse.... »
Comment avez-vous rejoint l'équipe de Là-bas, de l’autre côté de l'eau, pièce écrite par Pierre-Olivier Scotto avec le regard complice de Xavier Lemaire sur la guerre d’Algérie ?
De manière miraculeuse. Grâce à Tristan Petitgirard. Xavier Lemaire et la production faisaient des auditions à la recherche d’une nouvelle comédienne et Tristan a eu la gentillesse de donner mon nom. On s’est appelés avec Xavier. Il m’a parlé de son projet et des personnages pour lesquels j’allais auditionnés. Je sentais qu’il voulait vraiment bien faire les choses. Il a été très délicat durant cette période d’audition.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette fresque familiale, dans ces destins croisés ?
Elle transmet un message d’apaisement et de tolérance. Cette fresque porte en elle aussi le devoir de mémoire. Elle témoigne de toutes ces souffrances subies des deux côtés et qu’on désirerait ne plus revivre. Elle parle aussi d’injustice (un sujet qui me touche particulièrement). Elle aborde donc des thèmes qu’il me semble importants de défendre encore et encore.
Quelle place est accordée à la transmission, à l’héritage familial dans le récit ?
Une place de prudence et de protection envers les plus jeunes générations. C’est vrai qu’on porte en soi son passé mais il est important de pouvoir le comprendre pour l’accepter.
Est-ce une histoire vraie, une pure fiction ?
Il y a à la fois des éléments historiques vrais et à la fois les histoires de Marthe, France, Mokhtar et Jean-Paul sont purement fictionnelles. Cependant il n’y a pas longtemps, l’auteur Pierre-Olivier Scotto nous avoué qu’il y avait des éléments de sa vie dans cette histoire. Je dirai donc que c’est un subtil mélange entre la fiction et la réalité qui en fait toute sa richesse, sa force et sa véracité.
Vous partagez l'affiche à 12 comédiens. Est-ce jubilatoire ? Peut-on parler de troupe, de famille ?
C’était un de mes désirs de comédienne de faire partie d’un grand spectacle avec beaucoup de comédiens. Car il n’y a plus d’histoire d’égo. Et que de toute façon, le spectacle est plus fort que soi. On a juste à prendre du plaisir sur le plateau et ne penser à rien d’autre. Je trouve ça très reposant. Et puis c’est tellement chouette de se retrouver dans les loges tous ensemble avant de commencer. C’est la fête. Je ne le conçois que de cette manière. Mon cas est particulier, car j’ai rejoint une troupe qui était déjà formée depuis un moment. Donc ils se connaissaient déjà tous bien et avaient partagé des moments forts. Mais tous les comédiennes m’ont accueillie avec beaucoup de bienveillance. L’intégration s’est faite dans la douceur, le partage et l’envie.
Comment s’est organisé le travail au plateau ? Dans quelle(s) direction(s) vous a dirigée Xavier Lemaire ?
Xavier ne voulait absolument pas faire du copier-coller (vu que je reprenais les rôles). Il m’a dirigée comme si nous étions en période de création. Tout en respectant bien sûr les placements déjà existants. Il m’a accordé la liberté de proposer et d’être. Tout est mouvant et vivant avec lui. C’était l’idéal. J’ai pu trouver ma place très vite grâce à sa bienveillance, sa gentillesse, sa compréhension forte des acteurs et sa grande sensibilité. C’est une chance de l’avoir rencontré.
Comment décririez-vous les personnages que vous interprétez ?
C’est vraiment trois personnalités fortes. Marie-Christine (la plus jeune et fille de Marthe Surgenti) s’est donnée comme mission (enfin c’est ce que je me suis racontée) de rendre heureuse sa mère coûte que coûte. Elle est dans l’amour et l’empathie pour elle. Brigitte (la fiancée de Jean-Paul) est une jeune femme de son temps. Vive, énergique, droite, et loyale. Et surtout son amour est absolu. Et puis de l’autre côté, nous avons Fatima. Très engagée dans le FLN. Défendre sa terre est primordial. Elle ne recule devant rien. Elle est prête à mourir pour sa cause. L’Algérie est plus forte que la mort. Sa détermination et sa foi sont admirables.
En quoi cette épopée touche à la fois à l’intime et l’universel ?
Cette histoire a des résonances fortes avec notre temps. Cette épopée d’hier m’évoque les mêmes sentiments de peur, de rejet, de repli sur soi et de questionnements identitaires que le monde d’aujourd’hui. C’est très troublant.
Pourquoi est-il essentiel aujourd’hui de faire entendre cette histoire romanesque sur cet amour interdit entre deux jeunes gens de communautés différentes ? Cela résonne t-il avec notre époque ?
Évidemment, surtout dans notre société d’aujourd’hui où la tolérance, l’ouverture vers l’autre et la liberté sont fortement remises en question. J’ai encore vraiment du mal à comprendre et accepter qu’on ne puisse pas aimer l’autre juste pour ce qu’il est. Le jugement est sans cesse présent et castrateur. Il déclenche des violences qui me sont difficiles à supporter.
Si cette histoire peut éveiller les consciences, j’en serai la plus heureuse.
« Revenez dans tous les lieux de culture... »
Une confidence ?
Un peu plus tôt, je parlais de Wajdi Mouawad. Il m’est arrivée de faire des kilomètres pour assister à des conférences ou autres qu’il donnait… Mais à chaque fois, je me faisais refouler car trop de monde. Et puis, un jour je me balade dans le 11ème à Paris et je découvre sur la porte d’une librairie que Wajdi Mouawad viendra parler d’un livre. Et là, j’étais la 1ère à l’entrée. J’avais attendu plus de deux heures. J’étais placée vraiment pas loin de lui. Et ce fut deux heures d’entretien bouleversant. C’était passionnant à écouter.
Un acte de résistance ?
J’essaye comme je peux de résister au consensus. Dans le sens où j’essaye d’avoir, dans la mesure du possible, un avis objectif et argumenté. Mais parfois on se confronte à des jugements…
Un signe particulier ?
Oui un passé de gymnaste. J’ai passé toute mon enfance et adolescence dans des salles d’entraînements. C’était plus de douze heures par semaine.
Un message personnel ?
Revenez dans tous les lieux de culture ! Et si je prêche pour ma paroisse, revenez au théâtre et au cinéma. La vie est trop courte ! Soyons ivres et curieux.
Un talent à suivre ?
Le problème c’est que j’en ai tant... C’est difficile d’en choisir un sans blesser les autres.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Que je ne suis pas professionnelle. C’est mon angoisse.
Un personnage fétiche ?
Rocky.
Actuellement à l'affiche dans le spectacle Là-bas, de l'autre côté de l'eau au Théâtre La Bruyère, portée par douze comédiens, Maud Forget revient sur cette épopée théâtrale écrite par Pierre-Olivier Scotto, où se mêlent le destin d'hommes et de femmes pendant les événements de la guerre d'Algérie. Elle s'estime chanceuse d'avoir rencontré le metteur en scène Xavier Lemaire.
Photo © Lisa Lesourd
« La culture est le témoin de nos vies... »
Qu'est-ce qui vous a fait aimer / choisir le théâtre ?
La liberté et l’intensité que ça apporte en tant que comédien. C’est l’endroit où tout est possible. Et si je me place aussi en tant que spectatrice, c’est le rapport direct à l’imaginaire. Le théâtre peut décupler notre capacité à croire en toutes formes de récit.
Votre définition de la culture ?
La culture est le témoin de nos vies. Elle est aussi le passeur de nos espoirs et de nos souffrances.
Une rencontre artistique décisive ?
C’était d’abord une rencontre cinématographique avec Jean-Pierre Améris qui m’a offert la chance de jouer mon premier rôle au cinéma. Une expérience magique et révélatrice : un sentiment d’être à sa place comme une évidence.
Plus tard, ce fut celle de Steve Kalfa, un coach merveilleux, qui a élevé ma conception de l’acteur. Ce qu’il nous transmettait était si généreux, si incarné, si vrai et en même temps très simple. Mais la simplicité n’est-elle pas ce qu’on recherche tous et toutes ? Et puis la rencontre qui a été comme un uppercut, c’est la découverte du travail de Wajdi Mouawad. Hélas, je n’ai jamais eu le privilège de le rencontrer.
« Si cette histoire peut éveiller les consciences, j’en serai la plus heureuse.... »
Comment avez-vous rejoint l'équipe de Là-bas, de l’autre côté de l'eau, pièce écrite par Pierre-Olivier Scotto avec le regard complice de Xavier Lemaire sur la guerre d’Algérie ?
De manière miraculeuse. Grâce à Tristan Petitgirard. Xavier Lemaire et la production faisaient des auditions à la recherche d’une nouvelle comédienne et Tristan a eu la gentillesse de donner mon nom. On s’est appelés avec Xavier. Il m’a parlé de son projet et des personnages pour lesquels j’allais auditionnés. Je sentais qu’il voulait vraiment bien faire les choses. Il a été très délicat durant cette période d’audition.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette fresque familiale, dans ces destins croisés ?
Elle transmet un message d’apaisement et de tolérance. Cette fresque porte en elle aussi le devoir de mémoire. Elle témoigne de toutes ces souffrances subies des deux côtés et qu’on désirerait ne plus revivre. Elle parle aussi d’injustice (un sujet qui me touche particulièrement). Elle aborde donc des thèmes qu’il me semble importants de défendre encore et encore.
Quelle place est accordée à la transmission, à l’héritage familial dans le récit ?
Une place de prudence et de protection envers les plus jeunes générations. C’est vrai qu’on porte en soi son passé mais il est important de pouvoir le comprendre pour l’accepter.
Est-ce une histoire vraie, une pure fiction ?
Il y a à la fois des éléments historiques vrais et à la fois les histoires de Marthe, France, Mokhtar et Jean-Paul sont purement fictionnelles. Cependant il n’y a pas longtemps, l’auteur Pierre-Olivier Scotto nous avoué qu’il y avait des éléments de sa vie dans cette histoire. Je dirai donc que c’est un subtil mélange entre la fiction et la réalité qui en fait toute sa richesse, sa force et sa véracité.
Vous partagez l'affiche à 12 comédiens. Est-ce jubilatoire ? Peut-on parler de troupe, de famille ?
C’était un de mes désirs de comédienne de faire partie d’un grand spectacle avec beaucoup de comédiens. Car il n’y a plus d’histoire d’égo. Et que de toute façon, le spectacle est plus fort que soi. On a juste à prendre du plaisir sur le plateau et ne penser à rien d’autre. Je trouve ça très reposant. Et puis c’est tellement chouette de se retrouver dans les loges tous ensemble avant de commencer. C’est la fête. Je ne le conçois que de cette manière. Mon cas est particulier, car j’ai rejoint une troupe qui était déjà formée depuis un moment. Donc ils se connaissaient déjà tous bien et avaient partagé des moments forts. Mais tous les comédiennes m’ont accueillie avec beaucoup de bienveillance. L’intégration s’est faite dans la douceur, le partage et l’envie.
Comment s’est organisé le travail au plateau ? Dans quelle(s) direction(s) vous a dirigée Xavier Lemaire ?
Xavier ne voulait absolument pas faire du copier-coller (vu que je reprenais les rôles). Il m’a dirigée comme si nous étions en période de création. Tout en respectant bien sûr les placements déjà existants. Il m’a accordé la liberté de proposer et d’être. Tout est mouvant et vivant avec lui. C’était l’idéal. J’ai pu trouver ma place très vite grâce à sa bienveillance, sa gentillesse, sa compréhension forte des acteurs et sa grande sensibilité. C’est une chance de l’avoir rencontré.
Comment décririez-vous les personnages que vous interprétez ?
C’est vraiment trois personnalités fortes. Marie-Christine (la plus jeune et fille de Marthe Surgenti) s’est donnée comme mission (enfin c’est ce que je me suis racontée) de rendre heureuse sa mère coûte que coûte. Elle est dans l’amour et l’empathie pour elle. Brigitte (la fiancée de Jean-Paul) est une jeune femme de son temps. Vive, énergique, droite, et loyale. Et surtout son amour est absolu. Et puis de l’autre côté, nous avons Fatima. Très engagée dans le FLN. Défendre sa terre est primordial. Elle ne recule devant rien. Elle est prête à mourir pour sa cause. L’Algérie est plus forte que la mort. Sa détermination et sa foi sont admirables.
En quoi cette épopée touche à la fois à l’intime et l’universel ?
Cette histoire a des résonances fortes avec notre temps. Cette épopée d’hier m’évoque les mêmes sentiments de peur, de rejet, de repli sur soi et de questionnements identitaires que le monde d’aujourd’hui. C’est très troublant.
Pourquoi est-il essentiel aujourd’hui de faire entendre cette histoire romanesque sur cet amour interdit entre deux jeunes gens de communautés différentes ? Cela résonne t-il avec notre époque ?
Évidemment, surtout dans notre société d’aujourd’hui où la tolérance, l’ouverture vers l’autre et la liberté sont fortement remises en question. J’ai encore vraiment du mal à comprendre et accepter qu’on ne puisse pas aimer l’autre juste pour ce qu’il est. Le jugement est sans cesse présent et castrateur. Il déclenche des violences qui me sont difficiles à supporter.
Si cette histoire peut éveiller les consciences, j’en serai la plus heureuse.
« Revenez dans tous les lieux de culture... »
Une confidence ?
Un peu plus tôt, je parlais de Wajdi Mouawad. Il m’est arrivée de faire des kilomètres pour assister à des conférences ou autres qu’il donnait… Mais à chaque fois, je me faisais refouler car trop de monde. Et puis, un jour je me balade dans le 11ème à Paris et je découvre sur la porte d’une librairie que Wajdi Mouawad viendra parler d’un livre. Et là, j’étais la 1ère à l’entrée. J’avais attendu plus de deux heures. J’étais placée vraiment pas loin de lui. Et ce fut deux heures d’entretien bouleversant. C’était passionnant à écouter.
Un acte de résistance ?
J’essaye comme je peux de résister au consensus. Dans le sens où j’essaye d’avoir, dans la mesure du possible, un avis objectif et argumenté. Mais parfois on se confronte à des jugements…
Un signe particulier ?
Oui un passé de gymnaste. J’ai passé toute mon enfance et adolescence dans des salles d’entraînements. C’était plus de douze heures par semaine.
Un message personnel ?
Revenez dans tous les lieux de culture ! Et si je prêche pour ma paroisse, revenez au théâtre et au cinéma. La vie est trop courte ! Soyons ivres et curieux.
Un talent à suivre ?
Le problème c’est que j’en ai tant... C’est difficile d’en choisir un sans blesser les autres.
Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?
Que je ne suis pas professionnelle. C’est mon angoisse.
Un personnage fétiche ?
Rocky.