Noémie Elbaz

« La possibilité de se réinventer après une histoire d’amour c’est quelque chose qui touche tout le monde... »

On connaît Noémie Elbaz pour ses talents de comédienne et ses rôles au théâtre. Ce Festival Off d'Avignon 2023 la révèle aussi metteuse en scène d'un soliloque musical" comme elle le définit elle-même, écrit par Roxane Le Texier, récemment mise en scène par Alexis Michalik dans "Les Producteurs". Une histoire d'amour et de ruptures, entre chansons et textes. À découvrir au Théâtre du Coin de la Lune jusqu'au 29 juillet.

« Il faut tailler son diamant... »

Qu'est-ce qui vous a fait aimer, choisir le théâtre ?

Le théâtre c’est l’endroit de tous les possibles. J’adore cette phrase d’Olivier Py qui dit : « le théâtre, c’est un permis de construire sur la lune ». En tant que metteuse en scène, c’est quelque chose que j’ai vérifié : on a tous les droits, toutes les libertés surtout, c’est l’endroit où peut se déployer notre vision du monde, où on dessine un rêve, on le rend vivant, on l’offre à regarder, c’est absolument grisant, et aussi très lourd de responsabilité. Et je ne prends pas cette responsabilité à la légère : je voudrais que mon regard sur le monde fasse sens, résonne dans le cœur du public, le fasse réfléchir et l’émeuve.
En tant qu’actrice, c’est tout simplement l’endroit où paradoxalement j’existe « pour de vrai », où je respire mieux.
Donc pour répondre à cette question, je dirais que ce qui m’a fait aimer et choisir le théâtre c’est mon besoin éperdu de liberté…

Une rencontre artistique décisive ?

Il y en a eu plusieurs bien sûr. Mon prof de théâtre, le grand Jean Périmony qui nous répétait à l’infini d’être curieux, de lire, de se cultiver, d’apprendre de tout, de tous, tout le temps. Mais celle qui me vient à l’esprit aujourd’hui, c’est Xavier Durringer. C’est un vrai grand mec de théâtre. Un auteur et un metteur en scène de grand talent. Mais aussi un très grand directeur d’acteur, terriblement juste, et sans complaisance. Ça paraît évident mais c’est lui qui m’a fait comprendre que c’est un métier où on n’est jamais engagé pour autre chose que ce qu’on est. Alors il faut tailler son diamant. Ça, c’est mon prof de danse qui le dit tout le temps, cette phrase de Shakespeare avec laquelle j’ai grandi : « mon corps est un jardin, ma volonté son jardinier ». C’est pareil avec l’esprit quand on y pense, et pour en revenir à Xavier Durringer, il m’a dit une chose que je n’ai jamais oubliée et à laquelle je pense à chaque fois que je crée un nouveau personnage : « mets des secrets dans tes poches ». J’ai prêté quelques-uns de mes secrets à Roxane. D’un côté ou de l’autre du plateau, j’ai à cœur de faire briller ce diamant.

Je ne serais pas arrivée là si… ?

Si je n’avais pas cru en mes rêves. Et si certaines personnes chères à mon cœur ne m’y avaient pas autorisée, encouragée… On n’est rien sans ceux qu’on aime. Je ne serais pas arrivée là sans mon immense capacité à aimer et à être aimée.

Bande-annonce de « T'as fait danser ma planète »
Bande-annonce de « T'as fait danser ma planète »

« La possibilité de se réinventer après une histoire d’amour c’est quelque chose qui touche tout le monde... »

Quel a été le déclencheur de votre création ?

Roxane. C’est elle qui est venue me proposer de la mettre en scène dans ce qu’elle avait imaginé comme un « soliloque musical », un genre hybride, à inventer, où la voix parlée et la voix chantée s’alternent pour raconter cette histoire d’amour et de rupture. J’ai été infiniment touchée par ce sujet, qui a trouvé en moi des échos intimes.

Sa « planète » est une jumelle de la mienne. Et puis j’adore ses chansons ! Elle est arrivée avec des propositions très fortes, très belles. Il n’y avait plus qu’à faire danser tout ça. Il fallait inventer la dramaturgie, travailler sur la construction, l’organisation de cette matière brute, pure et noble, belle.

Notre duo fonctionne à merveille : on se ressemble et on se complète en même temps. On est très différentes, mais on s’admire beaucoup l’une l’autre je crois.
C’est le plus efficace des moteurs l’admiration non ?

Comment avez-vous travaillé avec l'équipe artistique ?

Dans une confiance et une bienveillance absolue, à tous les postes. Ils m’ont suivie dans « mes délires », ils m’ont comprise, et puis, chacun avec son talent, a su retranscrire et sublimer cet univers, qu’il soit visuel ou sonore.

J’ai demandé à Chouchane Abello-Tcherpachian un costume qui puisse raconter tour à tour la liberté et l’entrave, un costume qui soit un tour de magie. Une « robe couleur planète » où la lumière se reflète sur une texture.

Stéphane Baquet, qui a créé la lumière, a compris que je voulais créer un plan-séquence : sa lumière est pensée comme la photo au cinéma. C’est un grand homme de théâtre Monsieur Baquet. Sa confiance en moi m’a donné des ailes.
Robinson Senpauroca a composé chaque musique selon l’émotion, la couleur que je voulais donner à chaque chanson. Je connaissais le langage de la danse, je suis danseuse depuis si longtemps, j’ai découvert celui de la musique, et travailler avec les musiciens aguerris que sont Roxane et Robinson a été une expérience formidable.

Pierre Cottin et Deyan Bussière, nos créateurs son et vidéo m’ont aidée à composer l’univers sonore, la nappe, mais aussi le tempo de chaque signe de ponctuation du spectacle. C’est une symphonie où chaque instrument est accordé à la perfection pour danser avec l’interprète.

Quant à elle, l’interprète, ma Roxane, la diriger a été un chemin merveilleux. Elle me fait confiance, elle n’a peur de rien, elle a une force de travail, une maîtrise et un instinct exceptionnels. C’est une artiste rare. Merci encore à eux pour leur confiance et leur immense talent.

Comment s’est déroulé le travail au plateau ?

Je travaille toujours à l’instinct : j’ai un flash, j’ai envie d’essayer quelque chose, je le propose à l’interprète… on essaye, on ajuste… jusqu’au moment où on a le frisson, au sens propre. La « chair de poule » c’est mon marqueur, qui signifie que c’est juste, que l’émotion est née, qu’on tient la bonne piste. On valide, et on travaille ensuite ardemment dans ce sens-là. Retrouver l’instantanéité.

De quelle façon vous êtes-vous approprié le personnage et le texte ?

Je ne suis « propriétaire » de rien. Que de mes idées. De mon histoire. Et de mes rêves. Je ne me suis appropriée que l’émotion que j’ai ressentie en travaillant sur ce spectacle. Maintenant c’est au public de s’approprier cette histoire, de sortir en ayant envie d’écouter les chansons de Roxane, qui sont toutes des tubes en puissance. L’art est là, il me semble, à cet endroit où chacun y puise une partie de son reflet.

Quelle place occupe la scénographie, la lumière dans le spectacle ?

Une place infiniment importante. J’ai dramatiquement besoin de beauté. Je trouve que la beauté console de tout. Alors j’ai tenu à créer des belles images. Elles racontent tout mon univers, mes univers, mes goûts, mes références. De Klimt à Peau d’âne, de Chagall à Lynch. Comme si les images avaient émergé presque malgré moi de toutes ces influences, ces mondes qui m’ont façonnée.

Comment cette pièce touche-t-elle à la fois et à l’intime et à l’universel ?

Ça a été tout l’enjeu dans le travail d’écriture : partir d’une histoire infiniment intime, personnelle, que ce soit la mienne ou celle de Roxane et en faire une histoire universelle.

L’amour, la fin de l’amour, la possibilité de se réinventer après une histoire d’amour qui aura laissé à tout jamais son empreinte, c’est quelque chose qui touche tout le monde, qui a, en substance en tout cas, la possible de trouver un écho en chacun de nous, hommes, femmes, de toutes les époques et de tous les âges.

Qu’aimeriez-vous, peut-être, transmettre avec cette création ?

De l’émotion bien sûr en premier lieu. Mais aussi de l’espoir, et puis peut être aussi une réflexion sur notre capacité de résilience. Oui : je crois bien que la beauté a un pouvoir de consolation.

« Un acte de résistance ?
Toujours, à la médiocrité. »

Un signe particulier ?

C’est à vous de me le dire.

Un message personnel ?

Non, pas ici, ce n’est pas l’endroit.

Un talent à suivre ?

Moi ! Quelle question !

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Je m’en fiche un peu à vrai dire : les reproches vous construisent tout autant que les compliments. Alors j’écoute les deux, et puis je les oublie.

Une confidence ?

Créer ce spectacle a été une véritable catharsis pour moi. J’ai fait quelque chose de mes chagrins, d’un en particulier.

Vos prochains projets ?

Le cinéma. J’ai goûté à la mise en scène. Je veux me frotter à la réalisation.

Publié le
19
.
07
.
2023
Par Jérôme Réveillère

On connaît Noémie Elbaz pour ses talents de comédienne et ses rôles au théâtre. Ce Festival Off d'Avignon 2023 la révèle aussi metteuse en scène d'un soliloque musical" comme elle le définit elle-même, écrit par Roxane Le Texier, récemment mise en scène par Alexis Michalik dans "Les Producteurs". Une histoire d'amour et de ruptures, entre chansons et textes. À découvrir au Théâtre du Coin de la Lune jusqu'au 29 juillet.

Photo © François Berthier

« Il faut tailler son diamant... »

Qu'est-ce qui vous a fait aimer, choisir le théâtre ?

Le théâtre c’est l’endroit de tous les possibles. J’adore cette phrase d’Olivier Py qui dit : « le théâtre, c’est un permis de construire sur la lune ». En tant que metteuse en scène, c’est quelque chose que j’ai vérifié : on a tous les droits, toutes les libertés surtout, c’est l’endroit où peut se déployer notre vision du monde, où on dessine un rêve, on le rend vivant, on l’offre à regarder, c’est absolument grisant, et aussi très lourd de responsabilité. Et je ne prends pas cette responsabilité à la légère : je voudrais que mon regard sur le monde fasse sens, résonne dans le cœur du public, le fasse réfléchir et l’émeuve.
En tant qu’actrice, c’est tout simplement l’endroit où paradoxalement j’existe « pour de vrai », où je respire mieux.
Donc pour répondre à cette question, je dirais que ce qui m’a fait aimer et choisir le théâtre c’est mon besoin éperdu de liberté…

Une rencontre artistique décisive ?

Il y en a eu plusieurs bien sûr. Mon prof de théâtre, le grand Jean Périmony qui nous répétait à l’infini d’être curieux, de lire, de se cultiver, d’apprendre de tout, de tous, tout le temps. Mais celle qui me vient à l’esprit aujourd’hui, c’est Xavier Durringer. C’est un vrai grand mec de théâtre. Un auteur et un metteur en scène de grand talent. Mais aussi un très grand directeur d’acteur, terriblement juste, et sans complaisance. Ça paraît évident mais c’est lui qui m’a fait comprendre que c’est un métier où on n’est jamais engagé pour autre chose que ce qu’on est. Alors il faut tailler son diamant. Ça, c’est mon prof de danse qui le dit tout le temps, cette phrase de Shakespeare avec laquelle j’ai grandi : « mon corps est un jardin, ma volonté son jardinier ». C’est pareil avec l’esprit quand on y pense, et pour en revenir à Xavier Durringer, il m’a dit une chose que je n’ai jamais oubliée et à laquelle je pense à chaque fois que je crée un nouveau personnage : « mets des secrets dans tes poches ». J’ai prêté quelques-uns de mes secrets à Roxane. D’un côté ou de l’autre du plateau, j’ai à cœur de faire briller ce diamant.

Je ne serais pas arrivée là si… ?

Si je n’avais pas cru en mes rêves. Et si certaines personnes chères à mon cœur ne m’y avaient pas autorisée, encouragée… On n’est rien sans ceux qu’on aime. Je ne serais pas arrivée là sans mon immense capacité à aimer et à être aimée.

Bande-annonce de « T'as fait danser ma planète »
Bande-annonce de « T'as fait danser ma planète »

« La possibilité de se réinventer après une histoire d’amour c’est quelque chose qui touche tout le monde... »

Quel a été le déclencheur de votre création ?

Roxane. C’est elle qui est venue me proposer de la mettre en scène dans ce qu’elle avait imaginé comme un « soliloque musical », un genre hybride, à inventer, où la voix parlée et la voix chantée s’alternent pour raconter cette histoire d’amour et de rupture. J’ai été infiniment touchée par ce sujet, qui a trouvé en moi des échos intimes.

Sa « planète » est une jumelle de la mienne. Et puis j’adore ses chansons ! Elle est arrivée avec des propositions très fortes, très belles. Il n’y avait plus qu’à faire danser tout ça. Il fallait inventer la dramaturgie, travailler sur la construction, l’organisation de cette matière brute, pure et noble, belle.

Notre duo fonctionne à merveille : on se ressemble et on se complète en même temps. On est très différentes, mais on s’admire beaucoup l’une l’autre je crois.
C’est le plus efficace des moteurs l’admiration non ?

Comment avez-vous travaillé avec l'équipe artistique ?

Dans une confiance et une bienveillance absolue, à tous les postes. Ils m’ont suivie dans « mes délires », ils m’ont comprise, et puis, chacun avec son talent, a su retranscrire et sublimer cet univers, qu’il soit visuel ou sonore.

J’ai demandé à Chouchane Abello-Tcherpachian un costume qui puisse raconter tour à tour la liberté et l’entrave, un costume qui soit un tour de magie. Une « robe couleur planète » où la lumière se reflète sur une texture.

Stéphane Baquet, qui a créé la lumière, a compris que je voulais créer un plan-séquence : sa lumière est pensée comme la photo au cinéma. C’est un grand homme de théâtre Monsieur Baquet. Sa confiance en moi m’a donné des ailes.
Robinson Senpauroca a composé chaque musique selon l’émotion, la couleur que je voulais donner à chaque chanson. Je connaissais le langage de la danse, je suis danseuse depuis si longtemps, j’ai découvert celui de la musique, et travailler avec les musiciens aguerris que sont Roxane et Robinson a été une expérience formidable.

Pierre Cottin et Deyan Bussière, nos créateurs son et vidéo m’ont aidée à composer l’univers sonore, la nappe, mais aussi le tempo de chaque signe de ponctuation du spectacle. C’est une symphonie où chaque instrument est accordé à la perfection pour danser avec l’interprète.

Quant à elle, l’interprète, ma Roxane, la diriger a été un chemin merveilleux. Elle me fait confiance, elle n’a peur de rien, elle a une force de travail, une maîtrise et un instinct exceptionnels. C’est une artiste rare. Merci encore à eux pour leur confiance et leur immense talent.

Comment s’est déroulé le travail au plateau ?

Je travaille toujours à l’instinct : j’ai un flash, j’ai envie d’essayer quelque chose, je le propose à l’interprète… on essaye, on ajuste… jusqu’au moment où on a le frisson, au sens propre. La « chair de poule » c’est mon marqueur, qui signifie que c’est juste, que l’émotion est née, qu’on tient la bonne piste. On valide, et on travaille ensuite ardemment dans ce sens-là. Retrouver l’instantanéité.

De quelle façon vous êtes-vous approprié le personnage et le texte ?

Je ne suis « propriétaire » de rien. Que de mes idées. De mon histoire. Et de mes rêves. Je ne me suis appropriée que l’émotion que j’ai ressentie en travaillant sur ce spectacle. Maintenant c’est au public de s’approprier cette histoire, de sortir en ayant envie d’écouter les chansons de Roxane, qui sont toutes des tubes en puissance. L’art est là, il me semble, à cet endroit où chacun y puise une partie de son reflet.

Quelle place occupe la scénographie, la lumière dans le spectacle ?

Une place infiniment importante. J’ai dramatiquement besoin de beauté. Je trouve que la beauté console de tout. Alors j’ai tenu à créer des belles images. Elles racontent tout mon univers, mes univers, mes goûts, mes références. De Klimt à Peau d’âne, de Chagall à Lynch. Comme si les images avaient émergé presque malgré moi de toutes ces influences, ces mondes qui m’ont façonnée.

Comment cette pièce touche-t-elle à la fois et à l’intime et à l’universel ?

Ça a été tout l’enjeu dans le travail d’écriture : partir d’une histoire infiniment intime, personnelle, que ce soit la mienne ou celle de Roxane et en faire une histoire universelle.

L’amour, la fin de l’amour, la possibilité de se réinventer après une histoire d’amour qui aura laissé à tout jamais son empreinte, c’est quelque chose qui touche tout le monde, qui a, en substance en tout cas, la possible de trouver un écho en chacun de nous, hommes, femmes, de toutes les époques et de tous les âges.

Qu’aimeriez-vous, peut-être, transmettre avec cette création ?

De l’émotion bien sûr en premier lieu. Mais aussi de l’espoir, et puis peut être aussi une réflexion sur notre capacité de résilience. Oui : je crois bien que la beauté a un pouvoir de consolation.

« Un acte de résistance ?
Toujours, à la médiocrité. »

Un signe particulier ?

C’est à vous de me le dire.

Un message personnel ?

Non, pas ici, ce n’est pas l’endroit.

Un talent à suivre ?

Moi ! Quelle question !

Ce que vous n’aimeriez pas que l’on dise de vous ?

Je m’en fiche un peu à vrai dire : les reproches vous construisent tout autant que les compliments. Alors j’écoute les deux, et puis je les oublie.

Une confidence ?

Créer ce spectacle a été une véritable catharsis pour moi. J’ai fait quelque chose de mes chagrins, d’un en particulier.

Vos prochains projets ?

Le cinéma. J’ai goûté à la mise en scène. Je veux me frotter à la réalisation.